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pionniers, en dépit des complications que devaient entraîner la présence des trois jeunes femmes. George Flower était célibataire, Morris Birkbeck était veuf. Il semblait assez naturel que, dans le cours de ce long voyage et par suite de l’intimité qui en résulterait, George Flower s’éprît d’une des filles de son ami. Il n’en fit rien ; son choix s’arrêta sur miss Andrews, dont Morris Birkbeck, de son côté, tombait amoureux. Assez prolixe d’ordinaire sur les incidens de leur voyage, George Flower observe, sur ce sujet délicat, une réserve dont on ne saurait le blâmer. Il se borne à nous apprendre que Morris Birkbeck se proposa et fut refusé, que miss Andrews agréa ses hommages, et qu’au premier settlement où ils rencontrèrent un pasteur, il épousa miss Andrews, son associé Birkbeck tenant, pour cette cérémonie, lieu de père à celle dont il n’avait pu faire sa femme.

Cette affaire terminée, on se remit en route, voyageant tout l’été, profitant de l’expérience acquise par George Flower, passé maître dans l’art de régler les étapes et de choisir un campement. Mais les semaines s’écoulaient, les forces défaillaient, surtout l’espoir qui les soutenait. « Enfin, un jour, écrit-il, après une marche de sept heures par une chaleur intense, brisés de fatigue, lacérés par les ronces de la forêt, découragés, nous débouchâmes tout à coup dans une prairie semée de fleurs sans nombre. Devant nous, aussi loin que l’œil pouvait s’étendre, elle déroulait, dans le calme et le silence majestueux d’une belle après-midi d’automne, son immense tapis diapré. Çà et là des bouquets de chênes séculaires lui donnaient l’aspect d’un parc gigantesque. Derrière nous, la forêt que nous quittions restait pleine d’ombre et de mystère. Une fois en ma vie, la réalité tant attendue, si désirée, dépassa mes rêves. »

Pendant des jours et des jours, ils explorèrent ce domaine sans fin, « ne pouvant, écrit l’heureux explorateur, nous rassasier de la vue de tant de beautés, cherchant où poser notre tente, hésitant entre cent sites aussi séduisans l’un que l’autre. » Certes, ils n’entrevoyaient pas alors que des villes telles que Chicago, Pæoria, Springfield, Burlington, Davenport surgiraient dans cette oasis, que soixante ans plus tard ces terres de l’Illinois, devenu l’un des plus riches états de l’Union, représenteraient un capital de 3 milliards, et que la région des prairies, nouveau pays de Canaan, deviendrait l’inépuisable grenier du littoral de l’Atlantique. Mais ils étaient fermiers trop pratiques et trop expérimentés pour ne pas comprendre tout le parti qu’ils pouvaient tirer de ces terres vierges de culture et d’une fécondité sans égale. Ils décidèrent de s’établir dans une localité qu’ils baptisèrent du nom d’Edwards-County, et George Flower repartit pour l’Angleterre afin de réaliser ce qu’ils y