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Cobden et à ses associés un crédit considérable. Il n’eut pas à le regretter. Peu après il écoulait, par leur intermédiaire, pour plus de 2 millions 1/2 de marchandises à l’année.

Plus tard, Cobden, arrivé à la fortune, lui demanda comment il avait pu donner à trois jeunes gens, possédant à peine 5,000 fr. chacun, de pareilles facilités ; à quoi le manufacturier lui répondit ; « J’ai toujours eu pour principe de préférer traiter avec des hommes jeunes, au courant de leur affaire, capables et probes, plutôt qu’avec des gens possédant déjà des capitaux. Les premiers travaillent dur et réussissent plus souvent que les autres. Je me suis bien trouvé d’en agir ainsi et, par cette manière de faire, je me suis assuré des correspondans capables et intelligens dans toutes les parties du monde. »

L’extension rapide de leurs affaires obligea les trois associés à se consacrer chacun à une partie spéciale de l’œuvre commune. L’un d’eux s’établit à Manchester, l’autre à Londres, et le troisième, Cobden, se réserva les voyages. Il parcourut ainsi la France et les États-Unis, non plus en simple placier, mais en commerçant connu et estimé, traitant de grandes affaires. Il en retira profit et instruction, ne négligeant aucune occasion d’apprendre ce qu’il ignorait : les langues étrangères et l’histoire ; se passionnant pour l’étude des questions économiques ; réunissant partout des informations précises et puisées à bonnes sources ; suivant d’un œil attentif et curieux l’évolution commerciale, qui, de 1830 à 1850, atteignait son apogée. Négociant par situation et par nécessité, il était, d’instinct, homme politique et économiste. À un moment donné, la nature devait l’emporter sur l’accident, lui faire abandonner sans regret ses intérêts particuliers pour l’entraîner dans le conflit des intérêts généraux. Gagnant alors près de 500,000 francs par an, il dépendait peu, accroissait sa fortune jusqu’au jour où, tenant son indépendance pour largement assurée, il quitta les affaires pour se consacrer à la vie publique.

Il débuta toutefois par de lointains voyages, et, à son retour, par la publication d’une brochure intitulée : Angleterre, Irlande et États-Unis, dans laquelle, préconisant les institutions américaines, il s’attachait approuver que « la jeune république devait s’élever au plus haut degré de prospérité, à la condition de demeurer fidèle à sa double tradition : de n’avoir que des cadres en tant qu’armée permanente, et d’éviter les alliances embarrassantes. La civilisation, ajoutait-il, c’est la paix ; la barbarie, c’est la guerre. Si les grandes puissances s’entendaient pour consacrer au bien-être des masses une partie des sommes énormes qu’elles dépensent en armemens, l’humanité n’attendrait plus longtemps ses glorieuses destinées. »