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1,500 à celle du houblon, dont l’approvisionnement permanent en magasin n’est jamais moindre de 10,000 balles représentant un capital de 5 millions; 60,000 fourgons par année sont constamment employés au transport des produits, et les ateliers de tonnellerie contiennent 543,869 fûts. Quant à l’expédition de la bière en bouteilles, elle s’élève au chiffre incroyable de 100 millions par année.

La direction d’une pareille entreprise semble dépasser les forces d’un seul homme, et cependant, jusqu’en 1880, M. Michael-Thomas Bass en est resté seul propriétaire et gérant. Parvenu à l’âge de quatre-vingts ans, il a réalisé son immense fortune et, à défaut d’un acquéreur assez riche, a cédé sa brasserie à une société en commandite dont il est toutefois resté le principal intéressé. Représentant depuis trente années du bourg de Derby au parlement, il se vit offrir un siège à la chambre des pairs. Il refusa, tenant plus, disait-il, à rester le premier dans le Beerage qu’à figurer au Peerage, et désireux de consacrer ses dernières années à doter sa ville natale de grands établissemens d’utilité publique. Sous ce rapport, il s’est montré un digne émule de George Peabody et de la baronne Burdett-Coutts. Comme eux, il s’est voué aux œuvres philanthropiques, créant un musée, une bibliothèque, construisant des bains publics, contribuant largement à toutes les œuvres d’utilité publique et de charité privée.

Ses héritiers peuvent dire après lui ce que disait le docteur Samuel Johnson, exécuteur testamentaire de M. Thrale, le fondateur de la grande brasserie connue depuis sous le nom de Barclay et Perkins, ses successeurs : « Il m’a été donné d’entrevoir une source de prospérité sans bornes, de richesses inépuisables, et de comprendre une fois dans ma vie comment l’opulence pouvait dépasser les rêves les plus hardis. »


IV.

Un homme pour qui l’or n’est qu’un moyen de mettre à l’air sa volonté, qui, parti de rien, parvenu à l’opulence, tourne résolument le dos aux millions, consacre son intelligence et son activité à la cause de ceux qui souffrent, sacrifie sa vie à une idée et succombe sans regrets en plein triomphe, épuisé par la lutte, vaincu par la mort seule, un tel homme laisse derrière lui un nom auquel s’attache une gloire autre que celle qu’il lui fut un moment donnée de connaître : d’avoir édifié en peu d’années une fortune enviée de ses contemporains.

Ce fut la vie de Richard Cobden, l’un des plus grands orateurs que l’Angleterre ait produits, et, ce que l’on sait moins, l’un de