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croyons avec la cour suprême qu’il vaut mieux laisser les événemens suivre leur cours naturel, et soustraire plus tard, par la rétractation du jugement déclaratif, le commerçant à la faillite et à la plupart de ses conséquences, quand on aura pu reconnaître qu’il méritait cette faveur.

D’abord c’est plus logique. On ne tend pas la main à cet insolvable parce qu’il manque à ses engagemens, mais quoiqu’il y manque. Comme il est, d’après le droit commun, puni d’y manquer, il est téméraire de présumer tout d’un coup, au début de la procédure, qu’il y a lieu de le mettre hors du droit commun. D’ailleurs, en préjugeant ainsi la solution, on s’expose à ruiner les créanciers ; en la réservant, on empêche les dilapidations et l’on pourvoit aux intérêts les plus respectables. Les défenseurs du projet parlementaire n’ont qu’une réponse à la bouche : le jugement de rétractation, rendu plusieurs mois après la déclaration de faillite, ne fera pas oublier au public le temps intermédiaire et n’effacera pas le passé : « Du moment que la faillite est déclarée, dit l’un d’eux, la partie est irrévocablement perdue. » On arrive, par un sentiment exagéré de la bêtise humaine, à bâtir de mauvaises lois sur un mauvais raisonnement. Quoi ! le tribunal viendra donner à ce commerçant qui avait suspendu ses paiemens un tel brevet de probité! « Nous vous avions, dira-t-il, mis en faillite parce que nul ne peut être, avant que sa conduite soit examinée, soustrait à la loi commune; mais, après mûr examen de vos actes, nous déclarons hautement que vous avez mérité d’être soustrait à la faillite, nous vous replaçons à la tête de vos affaires, nous effaçons jusqu’à la qualification de failli, » et l’on prédit d’avance que le public se bouchera les oreilles ! L’opinion publique se révoltera, se cramponnera, pour ainsi dire, au premier jugement, et refusera, par un absurde entêtement, de ratifier le second ! C’est bien invraisemblable. Il faut d’ailleurs envisager la question sous toutes ses faces, et, puisqu’on attache une telle importance aux pudeurs les moins justifiées de l’opinion, comprendre qu’elle accablera de toutes ses rigueurs le débiteur assez malheureux pour avoir perdu, même sans sa faute et ne fût-ce que par un refus de concordat, le bénéfice de la liquidation judiciaire. Cette fois, à coup sûr, c’est à la rétractation qu’elle va s’attacher. Les juges avaient tenté de mettre cet homme en purgatoire, et, vaincus par l’évidence, sont obligés de le rendre à l’enfer de la faillite ! c’en est fait, la flétrissure est ineffaçable. Mieux vaut cent fois pour tous attendre et prononcer en connaissance de cause.

Le contre-projet auquel nous adhérons se garde bien d’accorder indistinctement à tous les concordataires le retrait de la faillite. « La meilleure preuve, a dit la cour de cassation, que le débiteur