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ce système de liquidation judiciaire « non-seulement dans son organisation, mais encore dans son principe. » On verra bientôt comment nous le remplaçons.

La seconde des réformes essentielles proposées par la commission législative et votées par la chambre des députés consiste à modifier le système des déchéances civiques infligées au failli par la législation actuelle. Le principe même de ces incapacités n’est pas méconnu par le projet ; M. Laroze reconnaît très nettement dans son premier rapport qu’on froisserait, en les supprimant, le sentiment de l’honneur commercial, et qu’il faut encore « édicter des déchéances, même contre le débiteur malheureux. » — « Mais, poursuit-il, elles doivent être légères, sous peine de demeurer inefficaces, car l’abus de la sévérité produit ici les conséquences les plus fatales. » Il faut, en effet, proscrire les rigueurs inutiles ; mais, en énonçant cette proposition banale, on n’a rien dit, les plus féroces législateurs s’imaginant de bonne foi que leurs sévérités sont nécessaires. Les premiers Romains ont dû penser qu’il y avait un intérêt social à permettre aux créanciers de se partager le corps du débiteur insolvable à proportion de leurs droits (partes secanto) ; les gens d’Avignon furent sans doute convaincus, au moyen âge, que tout serait perdu si les faillis n’étaient plus fustigés sur la place publique ; on se figura longtemps, au XVIe et même au XVIIe siècle, qu’il n’y avait pas moyen de leur épargner soit la honte du pilori, soit le « salutaire affront » du bonnet vert. Que dis-je! les rédacteurs de la grande ordonnance de 1673, inspirée par Colbert et préparée par Savary, crurent probablement remplir un devoir impérieux en punissant de mort la banqueroute frauduleuse. N’apercevez-vous pas, nous dira-t-on, que l’humanité marche, et qu’en atteignant des sommets plus élevés elle adoucit peu à peu les pénalités antiques? Abolir ou graduer plus sagement les peines qui frappent encore les commerçans insolvables, c’est effacer les derniers vestiges de la barbarie.

Cependant je ne puis oublier que M. Renouard, ce sage ami des hommes, si peu disposé par ses instincts comme par ses opinions aux répressions violentes, prémunit ses concitoyens, aussitôt après la promulgation de la loi de 1838, contre l’abus de l’esprit philanthropique[1]. Il craignait évidemment qu’on n’énervât la législation nouvelle, dont il était le principal auteur. C’est qu’on revient à la barbarie par deux chemins : en punissant trop durement les coupables, en provoquant de nouvelles fautes par l’insuffisance des châtimens. La commission parlementaire a nettement déclaré que le législateur de 1838 n’avait pas gardé a la juste mesure entre

  1. Voir le Traité des faillites et banqueroutes, Ire partie, ch. I.