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que la première romaine venue. Avec une mise en batterie faite au galop, c’est à peine si on gagnera une ou deux minutes, et on y perdra cette tranquillité d’esprit qui est nécessaire pour procéder aux opérations méthodiques du réglage.

Ce n’est pas quelques secondes aujourd’hui, mais presque des heures, qu’on demande aux batteries de gagner. Il est impossible de les faire toutes marcher en tête des colonnes, bien qu’on ait reconnu le danger de les reléguer à la queue, avec les bagages. Certaines d’entre elles sont placées à proximité de l’avant-garde ; d’autres sont fort loin, à une ou deux lieues en arrière. Quand l’action s’engage, vite on vient les chercher. Elles ont à doubler les longues files de l’infanterie, à traverser des villages, à passer sur des ponts plus ou moins solidement réparés, à couper à travers champs, à monter ou à descendre de longues côtes. Le temps presse ; les estafettes se succèdent. On entend au loin gronder le combat; on a hâte de rejoindre les camarades. Et cependant les chevaux n’ont qu’une puissance de traction limitée: mal nourris depuis le commencement de la campagne, passant les nuits à la belle étoile, ne dormant plus, restant des journées entières attelés et harnachés, ils ne peuvent fournir de longues traites à vive allure. Qu’on n’essaie pas de les forcer, ils tomberaient fourbus. Et, sans parler du temps qu’on perdrait à les sortir des traits et à dégager la voiture, il suffit que l’accident se produise dans un chemin creux, ou dans l’étranglement d’une route, ou sur une chaussée, pour que toute la colonne soit arrêtée pendant, dix minutes ou un quart d’heure, sinon plus. Festina lente. On conçoit l’importance, dans ces conditions, d’une marche bien réglée, et, au préalable, d’un judicieux entraînement des chevaux.

Telles sont les préoccupations de nos artilleurs d’aujourd’hui, de ceux que les exploits des batteries volantes du premier empire n’empêchent pas de dormir, et qui, loin de rêver coursiers fougueux et charges impétueuses, ne pensent qu’à obtenir des attelages bien équilibrés et en condition, capables de fournir de longues trottes de plusieurs heures. Les efforts que la jeune génération exercés dans ce sens, s’ils n’ont pas leur récompense dans les évolutions du Champ de Mars ni même aux grandes manœuvres, reçoivent leur application dans les exercices du camp de Châlons. C’est là que, sous les ordres du général de La Jaille, président du comité de l’artillerie, on se livre depuis plusieurs années à des études de ce genre, et elles se continuent, en ce qui concerne les batteries à cheval, au cours des manœuvres de cavalerie que dirige le général de Galliffet. Personne, aujourd’hui, n’ignore le nom du commandant Durand, mis en lumière précisément parce qu’il a su montrer ces qualités essentielles de précision dans les mouvemens,