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Le capitaine n’a plus qu’à commander : Feu! la tempête va se déchaîner.

Oui, tout cela est bel et bon sur un polygone ; mais il n’en va pas tout à fait de même sur un champ de bataille. Un cavalier, après une charge, est en état d’asséner un vigoureux coup de sabre. Son excitation, loin de lui nuire, décuple ses forces, et le sentiment immédiat de la conservation guide son bras. Échauffé par une course rapide, l’artilleur, lui, perd son sang-froid. Le gardât-il, d’ailleurs, ses yeux sont remplis de poussière et papillotent; sa main est agitée d’un tremblement fébrile. Comment se livrera-t-il aux opérations délicates que comporte son service? Comment manœuvrera-t-il l’œilleton et le curseur de la hausse? Pourra-t-il seulement lire les fines divisions de la tige graduée? Songera-t-il à serrer les écrous et les vis de pression? Ne risquera-t-il pas de se tromper dans le débouchage de la fusée, dans le réglage de l’évent ? Le principal mérite du canon est son impassibilité. Disons, en passant, qu’elle est aussi l’inappréciable qualité des mitrailleuses ; c’est elle qui fait, à certains égards, leur supériorité par rapport à l’infanterie. Lorsqu’on parle d’immobiliser des bataillons pour la défense extérieure des forts, qui, malgré leur nom de forts, sont devenus incapables de se défendre eux-mêmes depuis que la hellofite, la mélinite, la crésylite ou le gun-cotton des obus-torpilles ne respectent plus rien et défient les épaisseurs de maçonnerie et de terre qui jadis mettaient à l’abri de la bombe, nous ne comprenons pas qu’on ne s’adresse pas de préférence à ces excellens engins que fabriquent les Hotchkiss, les Nordenfeld, les Maxim : ils économisent des hommes ; ils ne détournent pas de leur destination des fantassins, dont le rôle véritable est l’offensive, dont la place est sur les champs de bataille plutôt que sur les abords d’un ouvrage fortifié. Ces soldats sont-ils de bons tireurs? On n’en a déjà pas tant, hélas! à mettre en ligne. Les a-t-on choisis dans les moins bonnes troupes, on ne peut être sûr qu’ils épauleront d’une main ferme et qu’ils viseront juste. Une mitrailleuse solidement établie sur son affût, avec son inébranlable pointage, ferait bien mieux l’affaire, elle surtout qui ne subit aucun recul.

Le canon, bien qu’à chaque coup il soit dérangé de sa position, n’en présente pas moins une fixité, et, comme nous le disions, une stabilité qu’il serait extrêmement maladroit de ne pas mettre en œuvre. Trop de brusquerie ne convient pas au maniement des bouches à feu, qui sont devenues, ne l’oublions pas, de véritables instrumens de précision, et qui, à ce titre, exigent des ménagemens particuliers. Une balance de laboratoire, si on l’emploie sans aucune précaution, ne donnera pas plus d’exactitude dans les pesées