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du pointage, un emploi plus général du niveau (on se félicite d’apprendre qu’un meilleur modèle de cet instrument est en construction), de plus fréquens exercices sur but mobile aux écoles à feu. Cette année, justement, on a essayé, dans les polygones d’Orléans et de Bourges, un système imaginé par le capitaine Tariel pour réaliser la mobilité des buts, ou plutôt pour en donner l’illusion. La Revue d’artillerie vient de patronner cet ingénieux dispositif et de lui donner en quelque sorte une consécration officielle. Tous les vrais artilleurs se réjouiront d’avoir, par ce moyen, l’occasion d’exécuter à peu de frais du vrai tir de guerre. Rien ne ressemble moins à une ligne de panneaux plantés sur le sol et maintenus par des arcs-boutans, rien n’y ressemble moins que les lignes flottantes des tirailleurs. Les batteries elles-mêmes sur lesquelles on pointe ne restent pas toujours immuablement à la même place. Les pièces reculent un peu à chaque coup, et, par paresse ou par tactique, il se peut qu’on ne les ramène pas à leur position primitive. Il en résulte qu’un capitaine, habitué à tirer sur des planches dans les polygones, sera tout désorienté s’il a affaire à des buts qui se déplacent et présentent un aspect changeant. Le procédé Tariel familiarisera avec des éventualités de ce genre, au moins dans une certaine mesure.

Aux écoles à feu de cette année on a constaté, entre autres heureuses innovations, une moindre hâte de la part des batteries à ouvrir leur feu. Naguère, c’était une sorte de course au clocher. On avait tellement élevé la précipitation à la hauteur d’un dogme, que le principe en avait été formulé en ces termes, dans un article qui fit quelque sensation, il y a quatre ou cinq ans : « Il faut tirer, tirer en toute hâte, tirer le premier, fût-ce en l’air, fût-ce à poudre!» Suivant l’expression triviale, il ne faut pas confondre vitesse avec précipitation. Des protestations se sont fait entendre, soulevées par cette singulière théorie, et on est revenu à des principes plus sages. On ne va pas jusqu’à conseiller la lenteur, mais on recommande le calme. Dans le même ordre d’idées, on proscrit les évolutions au galop. Si on les admet sur le terrain de manœuvres, c’est pour la plus grande satisfaction des spectateurs, et aussi pour l’enhardissement des acteurs. C’est un spectacle superbe que celui d’une batterie roulant à fond de train, avec le grondement de tonnerre de ses pièces, avec le cliquetis de ses ferrures, avec l’étincellement de ses aciers et de ses cuivres, au milieu de la poussière qu’elle soulève. Puis, tout à coup, halte! Le silence se fait, un silence de mort, précurseur des orages. Toutes les voitures se sont arrêtées ; les servans ont sauté à bas des coffres; ils ont décroché l’affût de son avant-train, posé la crosse à terre, chargé et pointé le canon.