Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je viens d’écrire n’a guère de sens que pour moi-même, j’en ai peur; mais elle exprime si bien l’impression que ces causeries m’ont laissée !)

« L’impératrice demande si vous vous plaisez au Japon?

« L’impératrice demande si vous aimez les fleurs de nos jardins?

« L’impératrice désire que vous vous trouviez heureuse dans son pays. »

Mon Dieu ! que dire autre chose, entre femmes de races si différentes, n’ayant peut-être pas, dans tout le domaine des idées et des sentimens, un seul point de contact? Pendant que s’échangent ces niaiseries d’enfant, elle sourit, l’impératrice, d’un air très fin et assez doux. Avec une curiosité féminine, — Et déjà, hélas ! avec un vague dessein de copier cela bientôt pour elle-même, — Elle examine de haut en bas la toilette de la dame étrangère ; — puis la congédie d’un signe de tête condescendant, d’un petit salut qui agite les deux ailes noires de sa chevelure... Et « mademoiselle Nihéma, » avec de grands froufrous d’étoffes lourdes, s’en va chercher la dame suivante.


Cependant l’air, qui a été chaud tout le jour, se refroidit ; un petit souffle de soir d’automne remue les tentures du kiosque et nous fait frissonner légèrement. La table est d’ailleurs en désarroi ; les pièces montées sont en déroute et les pâtés aussi. C’est la fin. L’impératrice se lève, ouvre sa grande ombrelle violette, bien qu’il n’y ait presque plus de soleil, reprend son air d’impassible bouddha, et se retire suivie du même soyeux cortège, — au son du même hymne, recommencé derrière les bambous pour sa sortie. Aux rayons rougeâtres du couchant, la mystérieuse cour s’éloigne, reprend, à travers les jardins bas, ce même chemin bordé de cèdres sombres par où elle nous était arrivée il y a une heure, si éclatante de soieries et de soleil.

Demain, ces jardins s’ouvriront encore une fois, pour une fête de second ordre. Tous les hauts fonctionnaires d’Yeddo viendront regarder après nous les fleurs un peu moins fraîches des chrysanthèmes et luncheront à cette même table; mais, pour eux, l’impératrice ne se montrera pas. Jusqu’au jour des cerisiers fleuris, en avril prochain, on ne la verra plus.

Il ne nous est même pas permis aujourd’hui de suivre de trop près son cortège ; il faut rester là et attendre respectueusement, pour partir, qu’elle soit rentrée chez elle, qu’elle ait repris son invisibilité de mythe religieux.

Encore quelques dernières et suprêmes minutes à l’apercevoir là-bas, elle et sa suite. Vues de dos, dans le lointain, toutes ces