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étrangères dans un discours où, avec une ingénuité découragée, il se plaint de tout, de l’état pénible des affaires publiques, pour finir par rejeter toute la faute sur le pays, sur les électeurs. C’est au moins étrange ! Mais en vérité le pays n’est pas fait pour se gouverner directement, pour savoir quelle est la politique possible, réalisable, utile, dans des circonstances souvent changeantes, toujours compliquées. Si le gouvernement et le parlement qu’il charge de ses intérêts ne le savent pas, s’ils sont les premiers à tout bouleverser, à rendre tout impossible, à quoi sont-ils bons ? Ils ne tardent pas à justifier la déconsidération qui les atteint, les accusations dont ils sont l’objet pour avoir déçu l’opinion ; par malheur, ils déconsidèrent aussi les institutions libres dont ils avaient la garde, dont ils n’ont fait qu’abuser sans savoir en user pour le bien public.

Assurément le pays, par lui-même, sait ce qu’il veut ou plutôt ce qu’il ne veut pas ; il le sait en réalité mieux que ne le croit M. le ministre des affaires étrangères, et, sous ce rapport, le récent voyage de M. le président de la république à Lyon, en Savoie, en Bourgogne, ce voyage auquel M. le président du conseil n’assistait pas, pourrait offrir d’utiles lumières sur les sentimens réels et intimes du pays. M. le président de la république, retenu par une certaine correction constitutionnelle, par un excès de réserve que l’opinion ne lui demande peut-être pas, se livre peu lui-même. Il a la parole modeste et un peu effacée d’un magistrat qui évite de se prononcer, qui ne veut pas être accusé de mettre une action personnelle dans le gouvernement ; mais il a pu entendre tout ce qui lui a été dit pendant son excursion, et, à part les banalités officielles inévitables, à part aussi les excentricités de M. le maire de Dijon, il y a eu presque partout un même sentiment qui a trouvé son expression la plus heureuse dans un discours aussi mesuré que judicieux du président de la chambre de commerce de Lyon. Sans se donner pour un politique, M. Sevène a tout dit en demandant au gouvernement « la seule protection qui résulte de la stabilité constitutionnelle, de l’ordre public fermement maintenu, du bon état des finances, de la paix sociale propagée par cette liberté véritable qui est la garantie de tous les droits et s’étend à toutes les croyances. » C’est en vérité tout un programme, qui, en répondant à une immense fatigue des agitations et des violences, résume un sentiment presque universel manifesté sous toutes les formes pendant ce récent et instructif voyage. M. le président de la chambre de commerce de Lyon a parlé pour tout le monde en demandant à M. Carnot la fin des désordres financiers, la dignité de la justice, le respect des croyances, — la stabilité constitutionnelle. Or c’est justement la question : comment le ministère de M. Carnot entend-il réaliser ce programme, conformer sa politique à ces vœux, à ces instincts, à ces désirs de stabilité qui éclatent de toutes parts ?