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vantent d’avoir outrepassé leurs devoirs, on sent percer le regret que le fardeau ait été si accablant. Quand on était plus sincère ou moins timoré, on se plaignait d’être écrasé par un pareil fardeau, et Socrate exagérait à peine, lorsqu’il s’écriait que tous ces ennuis rendaient l’existence de l’homme riche plus misérable que celle du pauvre. La démocratie athénienne avait cru peut-être fort habile de distribuer les charges publiques de telle manière que la classe inférieure fût presque entièrement exemptée, que les gens aisés fussent taxés modérément, et que le poids tombât lourdement sur les citoyens qui avaient les plus grosses fortunes. En réalité, ce calcul semble avoir été une grave erreur. Qu’on laisse de côté, si l’on veut, toute considération de justice ; qu’on néglige même d’examiner si cette hostilité latente ou déclarée contre le capital n’était pas en somme une cause d’appauvrissement pour la société. A n’envisager que les conséquences politiques du système, il est manifeste qu’il n’en sortit pas d’heureux fruits.

Rien ne fut plus funeste à Athènes que les discordes dont elle fut troublée vers la fin de la guerre du Péloponnèse. Alors que l’union de tous eût été indispensable pour lutter avec chance de succès, une faction se forma, dont L’unique souci était de détruire le régime démocratique et de conclure la paix. Sa composition même nous éclaire sur la nature de ses griefs. Elle se recruta exclusivement parmi les riches, c’est-à-dire parmi ceux qui souffraient le plus des ravages de la guerre et de l’excès des dépenses. Atteints dans leurs intérêts matériels par les fautes du parti dominant, ces hommes unirent par entrer en hostilité ouverte contre, les institutions nationales, et se firent, volontairement ou non, les complices des Lacédémoniens. Les iniquités fiscales tuèrent en eux l’esprit de loyalisme et affaiblirent leur patriotisme. Ils réussirent à opérer une révolution qui leur livra le pouvoir ; mais ils ne le gardèrent que quelques mois. Ce fut là une suite d’événemens désastreux pour Athènes. Ils dévoilèrent et accrurent encore l’état d’anarchie morale où se débattait la république ; ils irritèrent les haines qui divisaient les citoyens ; ils ajoutèrent aux préoccupations militaires, qui auraient dû être les seules du moment, celles qui naissent de la peur des complots ; et ils montrèrent à Sparte qu’elle avait des alliés secrets jusque dans le camp de ses adversaires. Leur connivence ne lui fut pas inutile, lorsqu’elle asséna les derniers coups à sa rivale. On n’a qu’à lire, dans l’Histoire grecque de M. Curtius, les intrigues des oligarques, de ce parti « peu nombreux, mais compact, qui ne tenait pas à l’indépendance de la cité, et qui s’entendait avec les Lacédémoniens, parce qu’il avait besoin d’eux pour établir sa domination) sur les ruines de la démocratie. » C’est lui qui travailla à décourager le peuple et à lui ôter toute espérance ; c’est lui qui traita