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à la cité le double avantage de mettre aussitôt dans ses caisses le produit intégral de l’impôt, et de lui épargner à la fois les ennuis et les frais de la perception en régie. C’était là, en revanche, pour un particulier, une corvée fort désagréable, d’autant plus qu’elle se traduisait souvent par des pertes d’argent. On pouvait, il est vrai, s’adresser aux tribunaux pour se faire rembourser ; mais la ressource était très précaire, étant données les dispositions traditionnelles du jury athénien à l’égard des riches. Il y avait d’ailleurs des situations qui commandaient l’indulgence. Un individu honnête et de condition aisée se ruinait brusquement ; quelle voie de rigueur employer contre lui, s’il était insolvable ? En autre tombait aux mains de l’ennemi, et rachetait sa liberté au prix d’une grosse rançon ; était-il humain de le poursuivre après tant de souffrances et de sacrifices ? Le pis est qu’un citoyen, même appauvri, ne pouvait secouer cette servitude qu’après avoir découvert quelqu’un qui fût en état de le remplacer. Si ce dernier refusait de se prêter à cette substitution, un procès avait lieu devant le jury. Le tribunal examinait lequel des deux adversaires était le plus riche. S’il se prononçait pour le demandeur, le défendeur avait le choix entre deux alternatives : il était libre de se soumettre au devoir civique, à la liturgie, qu’il avait déclinée, ou bien il échangeait sa fortune contre celle de son rival, qui restait chargé de la proeisphora. Généralement on s’arrêtait au premier parti.


V

Cette étude serait incomplète, si nous ne recherchions, en terminant, quelle était la place exacte de l’impôt sur le capital dans le système financier des Athéniens.

Pendant la guerre du Péloponnèse, cette taxe n’eut peut-être rien d’excessif, tant que la confédération maritime subsista. Mais, du jour où l’empire d’Athènes se disloqua après l’échec de l’expédition de Sicile, et où, par conséquent, les subsides des alliés manquèrent, le salut, public exigea que l’on prit l’argent là où il y en avait, c’est-à-dire dans la poche des riches et des gens aisés. De là les plaintes, si souvent renouvelées par les contemporains, sur l’énormité de l’impôt. Elles n’étaient point exagérées, si l’on en juge par l’exemple de cet individu qui, vers 410, eut à payer un demi-talent (2,947 fr.) et peu après deux tiers de talent (3,920 fr.). Une réserve pourtant est ici nécessaire. Pour mesurer avec précision l’étendue des sacrifices que l’état réclame des citoyens, il faut avoir égard non pas au capital, même quand c’est lui qui est taxé, mais au revenu, car c’est sur leur revenu que les particuliers prélèvent