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La loi traçait pourtant une limite au-dessous de laquelle l’eisphora n’était plus perçue. Elle exemptait d’abord ceux qui ne possédaient rien. Un certain chiure de fortune était même requis. Quel était ce chiffre ? Böckh prétend qu’en 378 on adopta comme ligne de démarcation la somme de 2,500 drachmes (2.450 fr.). Il en découvre la preuve dans la phrase où Démosthène raconte que ses tuteurs déclarèrent son avoir « à raison de 500 drachmes sur 2,500. » Cette expression n’a de sens à ses yeux que si elle signifie qu’on ne commençait d’être contribuable qu’à partir de 2,500 drachmes ; sans quoi, on aurait dit : « à raison de 1 drachme sur 5. » Mais n’est-il pas possible que ce fût là une locution toute faite, comme il y en a également dans notre langue ? Quand on emploie chez nous les formules suivantes : « le sou du franc, au marc le franc, le 5 pour 100, » on parle aussi un langage de convention, ce qui ne les empêche pas d’être d’un usage courant. Au chiffre de Böckh, j’en substituerais volontiers un autre, plus voisin peut-être de la vérité. En 323, Antipater, gouverneur d’Athènes au nom du roi de Macédoine, décida qu’à l’avenir les droits politiques seraient le monopole des individus qui justifieraient d’une fortune de 2,000 drachmes au moins ; les autres, considérés comme une cause de troubles dans la cité, seraient, s’ils y consentaient, transplantés en Thrace, où on leur promettait des terres. Ce chiffre de 2,000 drachmes avait dû être jusque-là la ligne de partage entre la classe des pauvres et le reste des citoyens, et par suite la limite extrême où s’arrêtaient les percepteurs de l’impôt sur le capital. Si cette hypothèse est fondée, le nombre des contribuables au IVe siècle était de 9,000, et le nombre des exemptés de 12,000. Je ferai observer que le cens minimum des premiers avait été légèrement exhaussé en 378, puisque auparavant il descendait à 1,800 drachmes de fortune réelle. Une tendance pareille se manifeste partout, même dans les sociétés les moins démocratiques. En Angleterre, on n’affranchissait autrefois de l’income-tax que les revenus inférieurs à 2,500 francs ; aujourd’hui, la même faveur s’étend à tous ceux qui n’atteignent pas 3,750 francs ; et, pour tous ceux qui sont compris entre 8,750 francs et 10,000, on ne touche pas aux trois premiers mille francs. En Prusse, le nombre des personnes soustraites à la Klassensteuer a monté, dans ces dix dernières années, de 6 millions à 21 millions, et on projette de l’accroître encore[1].


IV

Tout impôt direct peut avoir deux caractères différens. C’est un impôt de répartition, si l’état axe d’abord la somme totale qu’il

  1. Bulletin de statistique, mai 1886, p. 558.