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athénienne sur la mer Egée eurent pour effet de la pousser de plus en plus dans cette voie, et le capital agricole du pays ne fut plus qu’une partie, peut-être assez faible, de la fortune publique. Sans doute, les négocians, les manufacturiers, les banquiers surtout, étaient souvent des étrangers domiciliés, mais les citoyens participaient aussi à ce genre de spéculations. Dès lors, l’avoir de tout Athénien aisé se composa à la fois de fonds de terre et de valeurs mobilières. Nous possédons de nombreux inventaires de successions ; presque tous ont ce caractère. Un certain Stratoclès laissa en mourant deux maisons, un domaine rural et 5,000 drachmes de créances. Un autre individu, appelé Ciron, avait une terre, deux maisons de ville et beaucoup d’argent placé à intérêt. Le père de Timarque légua à son fils une maison située derrière l’Acropole, deux fonds de terre, une fabrique de chaussures et des titres sur plusieurs débiteurs. Il serait aisé de multiplier ces exemples, et de montrer que le capital né du commerce ou de l’industrie avait acquis une importance au moins égale, sinon supérieure, à celle du capital foncier. Il eût été absurde que le fisc respectât le premier et ne frappât que le second, alors surtout que le premier donnait en général de plus gros revenus. On n’eut garde de commettre une faute pareille, et, à dater de 428, l’impôt direct atteignit la richesse des citoyens, quelle qu’en fût l’origine et quelle qu’en fût la forme. L’opulent Nicias n’était pas propriétaire foncier, et il avait tous ses intérêts engagés dans les mines du Laurion ; ce qui ne l’empêcha pas de verser au trésor, sous le nom d’eisphora, des sommes considérables. L’héritage que Démosthène reçut de son père consistait en biens mobiliers, et il fut néanmoins inscrit sur la liste des plus forts contribuables.

Le grand embarras, quand il s’agit de l’impôt sur le capital, c’est de déterminer la fortune de chacun. D’une part, en effet, les déclarations individuelles sont souvent mensongères, et, d’autre part, la taxation administrative est bien vexatoire. Adam Smith estime que le premier procédé offre peu d’inconvéniens « dans une petite république où le peuple a une confiance entière en ses magistrats, où il est convaincu que l’impôt est nécessaire aux besoins de l’état, et croit qu’il sera fidèlement appliqué à son objet. » Cette règle est loin d’être absolue, et jadis à Florence les fraudes étaient très fréquentes, comme elles le sont aujourd’hui dans les cantons suisses. A Athènes, chaque citoyen faisait connaître le chiffre de son actif et l’état de sa récolte annuelle. Les dissimulations, notamment dans le premier cas, n’étaient pas rares. Il y en avait qui, pour se soustraire à toute charge fiscale, réalisaient leurs biens et les convertissaient en argent. Mais leur avarice ne portait aucun préjudice à la cité ; car ce qu’ils vendaient, d’autres l’achetaient, et ceux-ci