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cependant que les Athéniens aient songé à rendre l’eisphora permanente. Ce n’est pas qu’ils partageassent sur ce point le préjugé des Romains, et qu’ils crussent déroger à leur dignité de citoyens en acquittant un impôt sur les biens. Peut-être étaient-ils persuadés que la richesse était déjà assez chargée ; peut-être aussi voulaient-ils se ménager, pour les cas urgens, des ressources qu’en temps ordinaire il valait mieux laisser intactes. Quelles qu’aient été leurs raisons, cette taxe ne fut jamais annuelle. Parmi les documens innombrables qui le démontrent, je me bornerai à citer les contrats de bail. On lit dans un de ces actes : « Si un impôt vient à être mis sur l’immeuble, ce sera le propriétaire qui paiera. » Un autre contient ces mots : « Si une eisphora vient à être perçue par l’état, elle sera due par le fermier. » La taxe ne fut pas seulement intermittente ; elle eut toujours une destination militaire. Les termes qui désignent la guerre et l’impôt sur le capital sont perpétuellement associés par les écrivains grecs. Ce n’est pas que l’eisphora ait été constamment employée pour couvrir les frais d’une expédition contre l’ennemi ; parfois, elle fut quelque peu détournée de cet objet. Le gouvernement des Trente avait contracté un emprunt à Sparte ; après sa chute, les Lacédémoniens exigèrent qu’on les remboursât, et la dette fut éteinte par le moyen d’une eisphora. Ce fut encore l’eisphora qui fournit plus tard les fonds nécessaires à la réparation de l’arsenal. Mais ces deux exemples n’infirment en rien la règle qui affectait le produit de l’impôt direct, en paix comme en guerre, aux besoins de la défense nationale.


II

Cet impôt n’avait pesé d’abord que sur la terre. À partir de 428, il pesa sur l’ensemble de la fortune. Cette différence s’explique par la transformation économique qu’avait subie l’Attique dans l’intervalle. Au début de son histoire, Athènes était une cité continentale et agricole, qui ne tournait pas tout à fait le dos à la mer, mais qui ne la fréquentait guère. L’époque de Pisistrate marque le moment précis où elle devint une puissance commerçante et maritime. Porté au pouvoir par la petite bourgeoisie et par la classe pauvre, ce personnage s’efforça de développer à côté de la richesse foncière, concentrée entre les mains des nobles, la richesse mobilière, plus accessible à tous. Il favorisa le trafic, l’industrie ; il noua des relations avec les contrées voisines ; il ouvrit des débouchés aux produits nationaux ; il inaugura enfin le grand mouvement d’expansion qui fit bientôt d’Athènes la rivale de Corinthe, d’Égine et de Milet. Les guerres modiques et les progrès de l’hégémonie