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et comme les hostilités furent désormais continues, on n’eut plus la possibilité de réparer à la faveur de la paix les pertes éprouvées pendant la guerre ; le trésor fut bientôt à sec, et il fallut se suffire avec les seules recettes du budget. C’est alors qu’éclata, en 428, la révolte de Mytilène. Cette ville rompit brusquement avec Athènes pour s’allier avec Sparte. Elle donnait par là aux états confédérés un mauvais exemple, qu’il importait de châtier ; de plus, en changeant de parti, elle ajoutait à l’un des deux adversaires tout le supplément de forces qu’elle enlevait à l’autre. Les Athéniens sentirent l’intérêt qu’ils avaient à punir promptement cette défection. Un grand effort était nécessaire pour réduire la cité rebelle. Ils amassèrent de l’argent par trois moyens différens. Ils firent une razzia dans la contrée d’Asie-Mineure qu’arrose le Méandre ; ils pressèrent la rentrée des tributs des alliés ; puis, pour montrer qu’ils savaient au besoin s’imposer à eux-mêmes des sacrifices, ils votèrent, sous le nom d’eisphora, une taxe de 200 talens (1,178,800 francs) sur le capital. Ainsi fut rétabli, après une longue interruption, l’impôt direct. Ce ne fut ni en vertu d’une conception théorique, ni par goût des réformes, qu’on imagina cette contribution. Elle fut, comme l’income-tax primitif, « une aide pour la continuation de la guerre, » et elle ne dépouilla jamais le caractère qu’elle eut au début.

Il est naturel que l’eisphora ait été fréquemment levée tant que dura la lutte contre Sparte. L’énorme accroissement des dépenses, la ruine de l’agriculture, la diminution du commerce, la révolte de presque tous les alliés, mirent les Athéniens dans un tel embarras, qu’ils en vinrent, par une contradiction singulière avec leurs principes, jusqu’à altérer les monnaies. Cette détresse indique assez qu’ils durent souvent taxer les fortunes individuelles, et nous avons la preuve qu’ils le firent en effet. Ils le firent aussi pendant tout le IVe siècle, mais toujours d’une façon accidentelle. On s’étonne qu’ils n’aient pas eu la pensée à cette époque d’inscrire cet impôt parmi les recettes régulières de l’état. Après une vaine tentative pour restaurer cet empire maritime d’où elle tirait jadis de si beaux revenus, Athènes ne put compter désormais que sur elle-même, et, par une fâcheuse coïncidence, il y avait alors un appauvrissement général du pays. On n’avait pas néanmoins le courage de restreindre les dépenses ; on vivait en pleine démocratie, et ce régime d’ordinaire coûte cher. Bien plus, on gaspillait en temps de paix les excédens annuels, et l’on proclamait cette règle que le chapitre essentiel du budget était celui des réjouissances publiques. Des charlatans ou des utopistes s’ingéniaient à découvrir des moyens nouveaux de faire affluer l’argent au trésor ; on lançait des plans admirables de réformes fiscales ; et l’on sait que c’est là le propre d’une société qui a des embarras pécuniaires. On ne voit pas