Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le roi était allé recevoir son neveu à Jüterbock, où nos armes avaient subi, en 1813, un grave échec. Il aimait les souvenirs historiques, surtout ceux qui rappelaient les défaites de la France : dans cette même pensée, il fit défiler ses soldats, en l’honneur de son hôte, devant la statue de Blücher ; il tenait à évoquer Waterloo au moment où un Bonaparte remontait sur le trône de France ; c’était de l’à-propos. Au banquet, il porta un toast vibrant à son neveu, et l’embrassa avec effusion en le pressant contre son cœur.

L’empereur François-Joseph se laissa prendre à ces chaleureuses manifestations. Il crut l’alliance indissolublement scellée. « Nos deux armées, disait-il, dans les jours d’épreuves, combattront l’une à côté de l’autre, mais jamais l’une contre l’autre. » Il n’était pas prophète. — Il s’aperçut du reste, en serrant de près son oncle, que celui-ci était peu disposé à concilier ses actes avec ses protestations. Il obtint pour toute réponse, lorsqu’il lui demanda, en vue des dangers qu’il redoutait, l’assistance de son armée : « J’aurai moi-même besoin de toutes mes forces ; on a voulu faire de nous une grande puissance, mais vraiment, ajoutait-il en se faisant petit, on ne nous a pas mis en état de soutenir notre rang. »

Le rôle du ministre de France, au milieu de ces fêtes, dont la pensée ne pouvait lui échapper, ne laissait pas d’être embarrassant. S’il était difficile de se soustraire aux invitations, il n’était pas moins délicat de les accepter. Le jour même de l’arrivée de l’empereur d’Autriche, on célébrait à la légation de Russie la fête de l’empereur Nicolas. Devions-nous répondre à l’appel de M. de Budberg ? M. de Varenne était d’autant plus embarrassé, qu’il venait de recevoir en clair, par la poste, une dépêche fort raide sur les retards des cours septentrionales à reconnaître l’empire.

M. de Varenne demanda des instructions. « Vous ne devez pas paraître avec le corps diplomatique, répondit M. Drouyn de Lhuys, aux réceptions officielles qui pourraient avoir lieu durant le séjour de l’empereur d’Autriche à Berlin. » — La conduite de notre ministre était toute tracée. Aussi, lorsque le lendemain il fut invité, avec son personnel, à une représentation de gala en l’honneur de sa majesté autrichienne, s’empressa-t-il de renvoyer les huit cartes que M. de Manteuffel mettait à sa disposition. Il le fit en termes concis, mais courtois, sans motiver son refus[1]. C’était un avertissement, presque une leçon. La diplomatie française à Berlin, à l’encontre de notre

  1. Berlin, 10 décembre 1852. — « Je suis très touché des bontés du roi, et j’espère que votre Excellence voudra bien ne pas le laisser ignorer à Sa Majesté ; mais je ne pourrai malheureusement pas profiter des billets qui m’ont été adressés pour la représentation de ce soir, et j’ai l’honneur de vous les renvoyer avec l’expression de tous mes regrets. »