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discourtois ; ils s’efforcent de faire oublier les mauvais procédés. On dissimule les noirs desseins inconsidérément découverts sous l’empire de la passion, on rappelle les confraternités d’armes des temps passés, on évoque surtout le spectre rouge pour s’en faire un irrésistible argument.

C’est aux liens de la parenté, aux souvenirs des vieilles guerres de l’indépendance, que le parti autrichien à la cour de Prusse, la reine en tête, avait fait appel à Vienne, dans l’automne de 1852, pour décider François-Joseph à faire une visite à son oncle. Sa présence devait effacer Olmütz, être le gage d’une intime réconciliation en face du second empire, qui s’annonçait menaçant ; elle devait résoudre le problème germanique, rétablir l’entente au sein de la confédération, et du même coup servir d’avertissement à la France.

Si le prince de Schwartzenberg, à ce moment, avait dirigé la politique autrichienne, son maître ne se serait pas laissé prendre à ces trompeuses amorces. Il n’eût pas tendu la main à la Prusse pour la relever du profond discrédit que, par ses fautes, elle avait, depuis 1848, encouru en Allemagne ; il n’eût pas sacrifié au dualisme les petites cours germaniques, ni conseillé aux cabinets de Munich et de Stuttgart de se prêter au renouvellement du Zollverein qu’ils avaient dénoncé. Au lieu de s’associer à une politique rivale, il se serait dégagé des préjugés dynastiques, des rengaines de la sainte-alliance, que M. de Bismarck, mieux inspiré, bientôt devait jeter aux orties. Il ne se serait pas montré hostile à la France, il n’eût pas marchandé ses conditions d’existence au souverain acclamé par huit millions de suffrages. Le prince de Schwartzenberg, prématurément enlevé à son pays, au commencement de 1852, était un homme d’état réaliste, il se proposait d’étonner le monde par son ingratitude. L’avènement du second empire ne l’effrayait pas, il était tout prêt à lier partie avec lui ; il voulait l’avoir dans son jeu, pour l’empêcher de s’engager dans la politique des nationalités. Que n’a-t-il vécu !

L’entrevue de Berlin, qui, dans la pensée du comte de Buol, devait prémunir l’Autriche contre des dangers éventuels, se retourna contre elle. Elle causa une ineffaçable irritation à Paris, stupéfia les princes de la confédération germanique, et elle permit à la Prusse, moralement relevée des humiliâmes stipulations d’Olmütz, de reprendre ses desseins en Allemagne. Elle fut la genèse de Sadowa. L’empereur François fut choyé, fêté, encensé ; on rendit hommage à sa bonne grâce, à son esprit chevaleresque ; il semblait que les liens entre les deux cours seraient désormais indestructibles. L’histoire ne se lasse pas de montrer l’inanité de ces démonstrations.