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gouvernemens qui donnaient au nouvel empire des témoignages de sympathie. On sacrifie trop volontiers en France, pour satisfaire une opinion publique capricieuse, versatile, les intérêts de notre politique extérieure.

M. de Bismarck n’était pas dupe des justifications de la diplomatie des cours secondaires ; il en concluait qu’à l’heure du danger il n’y aurait rien de bon à attendre des états confédérés. Il n’avait pas tort, car les intimidations prussiennes, loin d’impressionner les souverains allemands, produisaient un effet tout contraire à celui qu’on espérait à Berlin. Plus on récriminait contre leurs tendances, et plus ils redoublaient de prévenances pour nos ministres à Munich, Dresde, Hanovre, Darmstadt et Stuttgart.

D’autres surprises, plus déplaisantes, étaient réservées aux trois puissances. Toutes les cours d’Europe allaient successivement leur faire défection et méconnaître les principes de la sainte-alliance. Le roi des Deux-Siciles, — personne à coup sûr ne s’y attendait, — fut le premier à donner « ce scandaleux spectacle. » On jeta des cris d’indignation, dans les cercles aristocratiques de Berlin, lorsqu’on apprit que le marquis d’Antonini, son plénipotentiaire, s’était précicipité aux Tuileries, « avec un révoltant empressement, » dès le lendemain de la proclamation de l’empire, pour remettre des lettres de créance rédigées à l’avance et en prévision de toutes les éventualités.

L’exemple était donné, la brèche était ouverte ; tous les princes, grands et petits, même le roi Léopold, « l’avant-garde » de la coalition, comme les moutons de Panurge, devaient précipitamment, les uns après les autres, sauter le pas qu’il coûtait tant aux souverains du Nord de franchir, et bientôt l’empereur Nicolas, soucieux de ses déclarations, allait pouvoir dire, à l’instar du poète : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. »

Lord Cowley suivit de près, au palais des Tuileries, le ministre napolitain ; il remit le lendemain, 5 décembre, ses lettres de créance en grand apparat. L’Angleterre, elle aussi, avec une cynique désinvolture, faussait compagnie aux protestataires. Elle s’était montrée la plus inquiète, la plus amère ; on avait spéculé sur son mauvais vouloir, en tenant la dragée haute au prince président, et elle capitulait ! Je crois voir encore la stupéfaction peinte sur tous les visages à Berlin et entendre siffler les traits mordans décochés contre la perfide Albion à l’arrivée de la dépêche annonçant que la reine Victoria avait reconnu Napoléon III, sans réserves.

M. de Prokesch fulmina contre la duplicité des ministres britanniques les plus accablans reproches. Il prétendait que, suivant leur habitude, ils avaient joué, mystifié tout le monde, qu’ils