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lumière qu’elle répand sur le chemin n’est pas un simple éclairage sans influence sur ce qu’il éclaire : il y a une efficacité inhérente aux idées mêmes ; la vision claire du terme final et des intermédiaires de l’évolution est une force nouvelle qui vient s’ajouter aux forces instinctives, pour pousser l’humanité en avant. La colonne de feu marche elle-même avec l’humanité entière, et non-seulement elle brille, mais elle guide et, pour sa part, elle entraîne.

Ainsi « l’obligation morale devient une nécessité physique et intellectuelle, un instinct irrésistible corroboré par la connaissance d’une loi irrésistible. L’appui que la science des mœurs trouve dans l’intelligence, c’est la conviction de l’inévitable. La doctrine de l’évolution est une doctrine de prédestination sociale ; elle nous dit, elle aussi : Magna est veritas et prœvalebit. Elle aboutit à l’optimisme serein de Spinoza. Telle est la limite que peut atteindre la morale purement scientifique de l’évolution ; telle est l’autorité qu’elle peut offrir à la raison raisonnante de l’individu : celle d’un lever de soleil lointain, mais inévitable, sur l’horizon de l’humanité, en dépit même des ténèbres que chacun aura amoncelées.

L’auteur de la Monde anglaise contemporaine a dirigé contre cette conception d’un progrès fatal et instinctif en morale une série d’argumens vigoureux, — un surtout qui causa grand émoi chez les évolutionnistes. Cet argument, c’est l’antinomie de la réflexion et de l’instinct, et l’influence dissolvante de la première sur le second. L’idée morale, avait dit M. Spencer, naît d’un instinct et aboutira, dans l’avenir, à un instinct encore plus infaillible. « Un jour viendra même où le penchant altruiste sera si bien incarné dans notre organisme même, que les hommes se disputeront les occasions de l’exercer, les occasions de sacrifice et de mort. » Quelques disciples de M. Spencer et de M. Maudsley, outrant encore cette thèse, ont prétendu que le degré le plus élevé de perfection pour l’homme sera un état complet d’automatisme, où les actes intellectuels et les sentimens moraux seront également réduits à de purs réflexes : « Tout fait de conscience, a-t-on dit, toute pensée réfléchie suppose une imperfection, un retard, un arrêt, un défaut d’organisation. » L’idéal de l’homme, c’est donc de devenir « un automate inconscient, merveilleusement compliqué et unifié, » un homme-machine faisant ce qui est le meilleur et le plus utile à l’espèce, sans même avoir besoin d’y réfléchir. Ainsi donc, pour pousser ce rêve à l’extrême, l’homme de l’avenir, si, par impossible, il recevait un soufflet sur une joue, tendrait l’autre immédiatement par un mouvement réflexe. En voyant un de ses semblables tomber à l’eau, il se précipiterait à son secours par un jeu de réflexes, comme, à la vue de l’eau, se précipite le jeune canard élevé par