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il subit. Pour sauvegarder son autorité et se la rendre moins pesante, il a dû lui donner des règles, lui tracer des limites : en principe tout citoyen investi d’une portion de la puissance publique est élu par le peuple ; seulement les formes de l’élection, la durée du mandat, et les conditions de l’éligibilité modifient beaucoup les choix. Ainsi le préfet, le juge, l’officier, sont nommés par le ministre, le ministre est nommé par la chambre, la chambre est nommée par le peuple ; donc le préfet, le juge et l’officier sont nommés par le peuple au troisième degré ; mais qui pourrait soutenir que cette élection donne les mêmes résultats, bons ou mauvais, que donnerait l’élection au deuxième degré par les députés, ou l’élection au premier degré par le suffrage universel ? La nomination des députés au scrutin départemental diffère du vote d’arrondissement ; le système du scrutin de liste, appliqué à la France entière, c’est-à-dire chaque électeur nommant la totalité des députés ou des sénateurs, comme le proposait feu M. de Girardin, aurait sans doute des conséquences plus radicales : celle tout au moins de supprimer complètement la représentation de la minorité.

Certaines élections confèrent des fonctions ou des grades, soit inamovibles, soit temporaires : le président de tribunal nommé, à vie, par le ministre de la justice, le capitaine promu par le ministre de la guerre à un grade dont il devient aussitôt propriétaire, sont-ils semblables à des magistrats ou à des militaires qui seraient nommés pour un temps plus ou moins limité, à des préfets ou sous-préfets révocables ad nutum ? Le député, nommé pour quatre ans, est-il le même que celui qui serait nommé pour douze ans ou pour six mois, qui aurait sans cesse sur ses talons le corps électoral ?

Quant aux conditions d’éligibilité, s’il plaisait au peuple de faire commander les régimens par des professeurs de l’Université, de faire exercer la médecine par des ouvriers fumistes, de confier la comptabilité publique aux officiers de marine et la construction des ponts à des avocats, nul doute qu’il n’en ait le droit. Il ne faut pas l’en défier, il serait capable de le faire, il y a des précédens ; cependant, depuis quelque temps, il ne l’a pas fait. Quoiqu’il soit admis que tous les citoyens ont accès aux emplois publics, que ce soit là une des bases de notre état social, il faut néanmoins s’astreindre à certaines obligations, justifier de certaines capacités, passer par certaines filières, pour devenir officier, professeur, ingénieur ou magistrat. Pourquoi donc ce qu’on exige des candidats aux emplois subalternes, ne l’exige-t-on pas pour les emplois supérieurs ? Pourquoi le premier venu peut-il être ministre, c’est-à-dire général en chef des professeurs, des diplomates, des financiers, et même, depuis peu, général en chef des généraux, sans avoir exercé