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également repris aux préfets, pour les donner aux ministres, des pouvoirs que la loi de 1837 leur conférait sur les crédits extraordinaires dans les grandes villes ; elle a concentré, en matière d’octrois, des choses que la loi de 1871 sur les conseils-généraux avait décentralisées. Quand un vent de liberté souffle, les bureaux plient, se taisent, mais ne désarment pas ; vienne un ministre autoritaire, ils repartent à la conquête de la France.

Pourtant ils ont laissé déposséder les « plus imposés » du droit de contrôle que la loi leur accordait dans l’établissement des taxes nouvelles. Il est des pays en Europe où certains habitans font partie de droit des conseils municipaux, en vertu de leur chiffre d’impôt, ou en raison de donations anciennes ; il en est où les mandataires de la commune sont élus à vie, d’autres où ils sont désignés tous les ans, quelques-uns, comme l’Espagne, où ils sont tirés au sort. Je crois notre système français préférable à tous ceux-là ; seulement le conseil municipal peut se trouver, chez nous, composé de personnes qui ne paient strictement que la cote personnelle, de journaliers et de domestiques. Or, des propriétaires antipathiques à la majorité, ou simplement des veuves et femmes non mariées, peuvent posséder les trois quarts du sol communal, et n’ont pas même, à l’heure qu’il est, le moyen de faire entendre une observation sur le vote d’un impôt dont ils vont payer les trois quarts. Ce sont là, on en conviendra, de véritables iniquités. Il faut donc, d’une part, ouvrir aux plus imposés des deux sexes, dans les villes comme dans les campagnes, la porte du conseil municipal les jours où il est délibéré sur un impôt nouveau, et, d’autre part, laisser à la commune une autorité presque illimitée, quand les délégués du suffrage universel seront d’accord avec les représentans des intérêts matériels.

Cette indépendance des communes et des départemens, qui garantira la liberté de chacun en mettant des bornes à la souveraineté de tous, serait une partie de la réforme, mais ce n’est pas la réforme tout entière : nous devons fortifier le pouvoir exécutif et organiser sur de meilleures bases le recrutement de ses agens. Tout souverain absolu possède le triple pouvoir législatif, exécutif et judiciaire ; il possède ces trois pouvoirs sans les distinguer, et les exerce sans le savoir, comme M. Jourdain faisait pour la prose. Il gouverne aussi naturellement qu’il digère, et ne se préoccupe pas plus de classer les diverses manifestations de sa volonté que de séparer les opérations successives de son estomac. La parole qu’il prononce est à la fois une loi, un ordre et un jugement. Aujourd’hui le peuple aussi est un souverain absolu, sujet comme tel à toutes les misères de l’absolutisme qu’il exerce, et qu’en même temps