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mais à quoi bon exposer dans une circulaire une doctrine si naïve d’aspect, et au fond si arbitraire ! Au lieu d’exiger l’intervention de l’état sous sa forme la plus haute, pour savoir si la ville de Carcassonne honorera sa principale artère du nom d’un de ses enfans récemment décédé, ne serait-il pas plus sensé de s’en rapporter au vote des habitans de la rue dont il s’agit, les plus intéressés à l’affaire, et en même temps les moins consultés ?

Cet appareil surérogatoire d’administration, c’est l’essence même de la bureaucratie, de cette bureaucratie qui partout est, selon le mot de Montalembert « l’armée permanente de la mauvaise démocratie, » et dont le formalisme tient, auprès du peuple souverain, la place de ce code bizarre de l’étiquette inventé par Louis XIV pour sa personne et pour sa cour.

Le premier résultat de la réforme qui serait faite dans le personnel des bureaux parisiens serait donc une large décentralisation administrative ; le pouvoir exécutif ne se déposséderait pas encore, il changerait de mains : ce serait la suite des décrets de 1852, sous le régime desquels nous vivons, mais que l’extension des chemins de fer, du télégraphe, l’invention du téléphone, font paraître tout à fait insuffisans. Cette révolution dans les communications, qui change la face du monde, modifie profondément les rapports des fonctionnaires entre eux. Un ministre, qui, de Paris, va pouvoir converser familièrement d’ici peu, par le fil téléphonique, avec les préfets de Lyon ou de Lille, qui, dès à présent, les questionne et leur répond en une heure, par dépêche, dispose d’une autorité évidemment plus étendue que ses prédécesseurs d’il y a cinquante ans, obligés, quand ils avaient à faire en province une communication urgente, d’expédier un cavalier qui courait la poste nuit et jour, ou que les monarques d’il y a cinq cents ans, envoyant, par des routes défoncées, des « chevaucheurs » qui faisaient 14 lieues en vingt-quatre heures, ou des « messagers de pied » qui n’en faisaient que 8. La question de distance affaiblissait l’action du pouvoir central, sa colère se refroidissait en route ; mais, en vérité, un préfet que l’on peut gourmander de son cabinet n’est plus qu’un chef de bureau.

Après avoir donné aux préfets une grande partie des pouvoirs des ministres, il convient de laisser aux sous-préfets une forte part de l’autorité des préfets, et de dépouiller enfin les sous-préfets au profit des maires. C’est à tort que beaucoup de libéraux, à la fin de l’empire et lors de la réunion de l’assemblée nationale de 1871, parlent avec un dédain marqué de cette décentralisation administrative, nommée par M. Bethmont « une aggravation de la centralisation, » et dont M. Odilon Barrot dit : « L’action centrale n’est diminuée en rien ; c’est toujours le même marteau qui frappe,