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section (la désignation a peu d’importance), exercerait la double fonction : 1° de prononcer sur les questions contentieuses qui s’élèveraient entre plusieurs des agens placés sous ses ordres, ou entre ces agens et le public ; 2° de décider par lui-même ou de faire décider par des lois les affaires tout à fuit importantes, telles qu’il ne s’en présente pas de Bayonne à Nancy et de Dunkerque à Marseille plus de deux ou trois par jour.

Combien de lois, dites d’intérêt local, sont en effet soumises aujourd’hui au parlement, qui devraient être simplement votées par les conseils-généraux, avec l’approbation du préfet ! Ceux qui me font l’honneur de me lire n’ignorent pas la façon dont ces projets de loi sont étudiés et discutés par les chambres ; est-il rien de plus ridicule ! Le député rapporteur copie en le démarquant (car il a généralement la pudeur de changer deux ou trois substantifs et de retourner quatre ou cinq phrases) l’exposé des motifs des bureaux, qui eux-mêmes ont recopié les avis du préfet, et le tout passe au milieu du bruit, au début d’une séance ; confondu avec la lecture du procès-verbal. Que voilà bien ce qu’on nomme pompeusement « la haute sanction législative ! » On a fait, pour en arriver à ce résultat, imprimer force documens, voyager des kilogrammes de dossiers ; la loi future a été vue au conseil d’état ; elle sera promulguée par le président de la république. Or il ne s’agit peut-être que d’une surtaxe de 2 fr. 50 sur l’alcool, à l’octroi d’une commune rurale du Finistère ; personne, sauf un sous-chef de bureau, ne connaît à Paris un mot de l’affaire dont il s’agit ; et l’on paraît devoir persister dans ces erremens jusqu’à la consommation des siècles, des surtaxes d’alcool et des projets de loi « d’intérêt local. »

A cette concentration extrême, aucun remède n’a encore été appliqué. On semble tenir, quand on est ministre, à voir dans son immeuble tous les fauteuils occupés, comme on aime, quand on est colonel de hussards, à ce que, dans les écuries, l’effectif des chevaux soit au complet. Un prédécesseur de M. Lockroy, qui fut, six années durant, grand-maître de l’Université, M. Duruy, m’a conté que chaque fois qu’il se présentait une vacance dans un de ses services, il faisait comparaître le personnel du bureau et lui proposait de se partager le traitement du démissionnaire ou du défunt, à la condition de se partager aussi sa besogne. « Bien entendu, ajoutait-il, si ce surcroit de travail devait excéder vos forces, je donnerai volontiers un successeur à votre collègue. » Inutile de dire que l’offre de l’éminent historien était invariablement acceptée avec enthousiasme par les employés, mais les directeurs ne manquaient pas de protester. Or il n’y a guère d’excellences, même sous l’empire, qui aient duré six ans, et le ministre qui arrive redoute le