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actions furent trouvées très différentes. Charles-Quint était âgé et infirme. Charles-Quint se retirait dans un couvent. Il n’était pas sûr, d’ailleurs, que Charles-Quint n’eût pas eu tort ; on racontait qu’il avait regretté ce qu’il avait fait. Christine était jeune et robuste. Elle ne songeait pas à s’ensevelir dans la retraite, et elle faisait sonner trop haut la beauté d’un acte auquel l’humilité sied mieux que la forfanterie. Dans ces conditions, l’abandon du trône devenait du désordre public.

Elle s’en doutait un peu et s’attendait au blâme. Quelques jours après le coup de théâtre du 11 février, elle écrivait : « Je sais que la scène que j’ai représentée n’a pu être composée selon les lois communes du théâtre. Il est malaisé que ce qu’il y a de fort, de mâle et de vigoureux puisse plaire[1]. » Elle disait aussi : « Je ne m’inquiète point du Plaudite. » Ce n’était pas vrai. Elle abdiqua en partie pour être applaudie du parterre. Elle avait deux autres motifs : elle n’avait plus le sou, et son métier de reine l’ennuyait ; la Suède et les Suédois l’ennuyaient.

L’opinion du parterre est résumée dans les deux fragmens suivans : « Dans quel temps vivons-nous, bon Dieu ! écrivait Vorstius[2] à son compatriote Heinsius. Les reines déposent le sceptre et veulent vivre en particulières, pour elles et pour les Muses. » On lit, d’autre part, dans les Mémoires de Montglat : « Il se passa dans l’Europe, cette année, une chose extraordinaire, qui fut la démission de la reine de Suède de son royaume. Cette princesse avait l’esprit fort léger, et elle s’était adonnée à la lecture des poètes et des romans ; .. et pour faire une véritable vie de roman, elle résolut de renoncer à sa couronne. »

En Suède même, les sentimens furent ce qu’ils devaient être chez un peuple très bon, incapable d’oublier que Christine était la fille de Gustave-Adolphe. On fit des instances pour la retenir et on pleura à la cérémonie de l’abdication. On accorda généreusement ses demandes d’argent, qui n’étaient pas petites : Christine se faisait assurer les revenus de vastes domaines et de plusieurs villes, montant ensemble à environ 500,000 livres. On arma une flotte pour la transporter avec honneur où il lui plairait. Ces devoirs remplis, les cœurs commencèrent à se détacher de l’ingrate. Elle continuait à commander : on lui insinua qu’elle n’était plus la maîtresse. Elle témoignait une joie indécente de quitter la Suède : le peuple se mit à dire qu’il fallait l’obliger à dépenser ses revenus dans le pays. Christine sut ces propos, et son impatience n’eut plus

  1. Lettre du 28 février 1654 à Chanut, ancien ambassadeur de France à Stockholm.
  2. Savant hollandais.