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était que plus âpre à presser la rentrée de l’impôt ; mais on avait beau tordre le paysan suédois, il n’en sortait plus rien. Voici qui est à la grande gloire de ce peuple. Quelque cuisante que fût sa misère, il en était moins touché que d’apprendre que sa jeune reine débitait à présent mille impiétés, à l’exemple de Bourdelot. C’en était trop. Le langage des grands devint menaçant, et Bourdelot fut contraint de se faire escorter pour sortir. Christine, entendant gronder l’orage, comprit qu’il était prudent de céder.

Peut-être en avait-elle assez du personnage. Quoi qu’il en soit, il s’en alla dans l’été de 1653, chargé de présens et recommandé à Mazarin, qui crut devoir à la politique de lui donner une abbaye. Il s’improvisa abbé comme il s’était improvisé docteur, et divertit Paris du spectacle de son importance. « Notre maître Bourdelot, écrivait Guy-Patin à un ami, se fait ici porter en chaise, suivi de quatre grands estafiers. Il n’en avait par ci-devant que trois, sed e paucis diebus, quartus accessit. Il se vante d’avoir fait des miracles en Suède. » Christine demeura en correspondance avec lui tant qu’il vécut. Il lui donnait les nouvelles de Paris et elle le consultait sur sa santé.

Enfin il était parti, et le pays, débarrassé d’un joug honteux, reprenait haleine, lorsqu’un nouveau souci fondit sur lui. La reine faisait emballer ses meubles, ses livres, ses objets d’art. On ne fut pas longtemps dans l’incertitude sur ses projets. Le 11 février 1654, Christine réunit le sénat et lui annonça son intention de remettre la couronne à son cousin Charles-Gustave. Elle ajouta qu’il était inutile, cette fois, d’essayer de la dissuader de son dessein ; « qu’elle ne se mettait point en peine de tout ce qu’on en pouvait dire ; que c’était une résolution prise, dont elle ne se départirait pas ; que pour cet effet elle ne demandait point leur avis, mais seulement leur concours. »

« Ce discours, dit un vieil historien, jeta un tel étonnement dans les esprits, que l’on ne savait que répondre à Sa Majesté. »

Notre siècle est accoutumé à voir le sort des trônes remis au caprice des peuples et des rois. Il ne s’étonne plus des révolutions ni des abdications, et le discours qu’on vient de lire passerait aujourd’hui pour un trait d’esprit. Il en allait tout autrement au XVIIe siècle, où l’idée monarchique n’était pas encore énervée. On estimait alors qu’un souverain et une nation sont liés ensemble par un devoir mutuel, que ni l’un ni l’autre n’ont le droit de déserter. Il y a entre eux un contrat portant la signature solennelle de Dieu, puisque Dieu a choisi et façonné le prince auquel il donne le peuple. Charles-Quint avait abdiqué, et son exemple fut comparé à celui de Christine, mais leurs deux