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bien et le mal qu’on pensait de soi, sans craindre d’appuyer un peu plus sur le bien que sur le mal. Il y avait au fond moins d’orgueil, il y avait surtout un orgueil plus innocent à s’embellir ainsi aux yeux de la foule, qu’à lui jeter ses vices au visage, selon l’exemple donné depuis par Rousseau. On ne peut reprocher à Christine que d’avoir légèrement abusé du droit reconnu par les mœurs de faire valoir les beautés du modèle.

Elle s’étend avec un sérieux qu’on n’oserait plus avoir de nos jours, ou du moins étaler, sur son cœur « grand et noble dès qu’il se sentit, » son âme « de la même trempe » et « tant de beaux talens » qui la désignaient à l’admiration du monde. Passant ensuite aux défauts, selon la poétique du genre, elle s’en accorde d’abord de très royaux, convenables à son rang et ne rabaissant point une créature supérieure. « J’étais méfiante, dit-elle, soupçonneuse, de plus ambitieuse jusqu’à l’excès. J’étais colère et emportée, superbe et impatiente, méprisante et railleuse. » Jusqu’ici, tout va bien ; mais elle ajoute quelques lignes plus bas : « De plus, j’étais incrédule et peu dévote, et mon tempérament impétueux ne m’a pas donné moins de penchant à l’amour que pour l’ambition. » Elle proteste que Dieu, qui ne paraît pas s’être préoccupé de son incrédulité, l’a toujours préservée des chutes auxquelles l’avait destinée la nature : « Quelque proche que j’aie été du précipice, s’écrie-t-elle, votre puissante main m’en a retirée. » Elle n’ignore pas que la médisance l’a « noircie, » et elle s’accuse à ce sujet « d’avoir trop méprisé les bienséances de son sexe, » ce qui l’a fait paraître souvent plus « criminelle » qu’elle ne l’était. Elle confesse qu’elle a eu tort, mais elle ne peut s’empêcher d’ajouter que, si c’était à refaire, elle se moquerait encore davantage des bienséances : « Je suis… persuadée que j’aurais mieux fait de m’en émanciper tout à fait, et c’est l’unique faiblesse dont je m’accuse ; car, n’étant pas née pour m’y assujettir, je devais me mettre entièrement en liberté là-dessus, comme ma condition et mon humeur l’exigeaient. » Cette dernière boutade la peint.

Les sujets très luthériens et très religieux de Christine croyaient encore plus fermement à la main divine qui retire les jeunes imprudentes du précipice que n’y croyait une princesse « incrédule et peu dévote. » Néanmoins, s’ils avaient su à quel point ce bras irrésistible était nécessaire pour soutenir et sauver leur petite reine, ils auraient été épouvantés. Leur vin, leurs jurons, leur grossièreté de demi-barbares s’alliaient à la gravité d’esprit que donne la religion protestante sérieusement pratiquée. Ils mettaient Dieu de part dans tous leurs actes, de manière qu’ils le sentaient sans cesse à leurs côtés, prêt à aider, prêt aussi à anéantir. Lorsque