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fait le Héros, tel que le conçoit le peuple. Rien ne lui a manqué de ce qui frappe les imaginations. Il sortait d’un Nord lointain et encore mystérieux, qu’on se représentait hérissé de glaces et perdu dans la nuit ; trente ans plus tard, Huet et Naudé, arrivant en Suède, s’étonnaient naïvement d’y voir des fleurs, du soleil et des cerises. Le roi lui-même paraissait une évocation de la mythologie scandinave. L’empereur Ferdinand l’appelait « le roi de neige, » et ce surnom lui seyait à merveille. C’était un géant blond, à la barbe d’or, au teint blanc et fleuri, dont les yeux gris lançaient des éclairs. Il était prompt à la colère, terrible dans le combat, doux dans la paix et la possession de lui-même ; il était alors le bon géant qui rit de tout. Comme les Ases, compagnons d’Odin, il aimait à boire avec les braves et à donner de grands coups aux jours de combat. Plusieurs historiens du temps l’ont blâmé de faire le soldat ; ce n’était plus guère l’usage pour les souverains et les chefs d’armées. Christine le défendait chaudement. « La mode d’être héros à bon marché, écrivait-elle, et à force d’être poltron, n’avait pas encore commencé. A présent, on n’est plus héros qu’à proportion qu’on est grand poltron. » Raisonnables ou non, les charges formidables de Gustave-Adolphe sur le champ de bataille le paraient aux yeux de la foule d’une auréole singulièrement brillante.

Ses mœurs d’ancien preux étaient associées au goût des lettres. Il parlait plusieurs langues et se faisait suivre au camp d’une bibliothèque de choix. Il avait médité sur les choses humaines, sur l’ambition, la passion de la gloire, le génie des batailles, le sort des peuples, et il avait conclu qu’il était un fléau pour la Suède, que tous les grands rois sont des fléaux pour leurs peuples et tous les grands hommes des fléaux pour quelqu’un. « Dieu, disait-il, ne s’éloigne jamais de la médiocrité, pour passer aux choses extrêmes, sans châtier quelqu’un. C’est un coup d’amour envers les peuples quand il ne donne aux rois que des âmes ordinaires. « Il est vrai, continuait-il, que les princes médiocres attirent par cela même des maux à leurs sujets. « Mais ces maux sont bien légers, ils ne peuvent être en aucune considération, si on les compare à ceux que produisent les humeurs d’un grand roi. Cette passion extrême qu’il a pour la gloire, lui faisant perdre tout repos, l’oblige nécessairement à l’ôter à ses sujets. C’est un torrent qui désole les lieux par où il passe. » Pour lui, Dieu l’avait envoyé gagner des batailles dans un moment de colère contre la Suède, et il plaignait la Suède, sans admettre toutefois que le ciel pût se dédire : si la victoire hésitait, il descendait de cheval, se mettait à genoux et appelait à haute voix le « Dieu des armées. » Ce Dieu lui prouva qu’il s’intéressait à lui, en l’enlevant dans la splendeur de la force et de la jeunesse, au