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l’organisation des secours dus aux blessés était soulevé ; une modeste association destinée à pourvoir à des intérêts locaux, « la Société genevoise d’utilité publique, » allait en déterminer la solution, et, par la seule force d’une idée juste, l’imposer à tous les gouvernemens de l’Europe.

Le principe sur lequel on devrait s’étayer pourrait se formuler ainsi : « En guerre, comme en pénalité, tout ce qui outrepasse l’indispensable est criminel. » C’est là un axiome dont les nations ne sauraient trop se pénétrer, car, la guerre étant encore restée dans nos mœurs comme un indice persistant de la bestialité préhistorique, le devoir de toute créature humaine est d’en adoucir les conséquences. À ce point de vue, l’action de « la Société genevoise d’utilité publique » constitue un progrès de premier ordre. Ce fut le 9 février 1863 que l’a Société genevoise chargea une commission spéciale de donner une forme pratique aux idées de M. Dunant. Le président de la commission était le général Dufour, commandant en chef les forces de la confédération helvétique, stratège éminent, qui, malgré ses talens militaires, n’avait jamais vu dans les luttes des peuples entre eux que la plus détestable des nécessités. Il avait pour assesseurs le docteur L. Appia, qui avait fait la campagne d’Italie en qualité de chirurgien volontaire, le docteur Th. Maunoir, M. Henry Dunant et M. Gustave Moynier, président de la société, auteur d’un livre auquel je ferai plus d’un emprunt[1]. La volonté de bien faire était extrême, mais, pour concréter les aspirations dont on était animé ; on manquait de point d’appui ; l’Europe n’offrait aucun exemple dont on pût profiter ; en temps de conflit, la bienfaisance avait toujours agi isolément, au gré de l’initiative individuelle, sans entente préalable, un peu au hasard et souvent à l’aveuglette. Il fallait, pour remplir le programme qu’on s’était fixé, réunir en un seul effort collectif tous les efforts particuliers, de façon à leur imprimer un mouvement d’ensemble concerté dans l’action et fécond dans les résultats. On étudia la constitution et le mode d’opérer de la commission sanitaire des États-Unis d’Amérique qui, pendant la guerre de sécession, faisait arriver ses chirurgiens sur les champs de bataille avant le service officiel des ambulances et qui recueillit en dons de charité la somme de 1 milliard 144 millions. Peu à peu, on parvint à faire sortir des délibérations un projet acceptable, mais on était exposé à le voir rester à l’état d’utopie et demeurer inutilement inscrit sur les registres des procès-verbaux d’une société sans mandat et sans rayonnement. C’est

  1. La Croix rouge, son passé, et son avenir, 1 vol. in-8o ; Paris, 1882 ; Sandos et Thuillier.