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On glosa beaucoup de cette panique à l’époque, surtout en Italie, où le récit se propagea de proche en proche. Bien des blessés y périrent ou en devinrent incurables. On eût conservé plus de sang-froid, les estropiés n’auraient point essayé de fuir, les conducteurs des voitures d’ambulance seraient restés à leur poste, les blessés des deux nations n’auraient couru aucun risque et n’auraient point obéi aux mauvais conseils d’une terreur imaginaire, s’ils avaient été neutralisés par les lois de la guerre, laissés en dehors des hostilités auxquelles ils ne pouvaient plus prendre part, et protégés par un cartel de sauvegarde consenti entre les nations belligérantes. Cette idée, qui a mis tant de siècles à pénétrer les cœurs, fut exprimée publiquement, pour la première fois, par un chirurgien éminent, membre correspondant de l’Institut de France pour l’Académie des Sciences. Le 28 avril 1861, le docteur Palasciano fit à l’académie Pontraniana un mémoire : la Neutralità dei feriti in tempo di guerra. C’est l’acte de naissance de la convention de Genève. D’autres viendront qui reprendront l’idée, la matérialiseront, la présenteront à l’acceptation des nations civilisées, et se verront assez heureux pour la faire adopter ; mais, en réalité, elle se manifeste pour la première fois à Naples, par l’initiative du docteur Palasciano. S’il n’a point baptisé l’Amérique, il l’a découverte. L’abandon des blessés sur le champ de bataille de Solferino, la panique de Castiglione, ont troublé son cœur et lui ont indiqué le but que l’humanité devait atteindre pour affaiblir, autant que possible, les horreurs de la guerre. C’est grâce à lui que les faits dont je viens de parler appartiennent désormais à l’histoire et ne peuvent plus se reproduire. Tout ce qui touche au service de santé des armées, — blessés et médecins, hôpitaux et fourgons d’ambulance, — est à l’abri de la guerre, et les sociétés groupées autour de l’étendard de la Croix rouge apportent au corps sanitaire une aide qui le complète et lui donne la possibilité numérique de remplir sa mission.


III. — LA CONVENTION DE GENÈVE.

Le vœu du docteur Palasciano serait peut-être resté platonique, si, presque à la même heure, un écrivain ne l’avait formulé. Né en Suisse, dans un pays neutre, où toute liberté est laissée aux discussions, M. Henry Dunant avait assisté, en curieux, à la bataille de Solferino et à tout ce qui s’ensuivit. Il publia un volume qui contenait ses observations, mais il parut y attacher peu d’importance, car il ne le livra pas au commerce, et se contenta de le distribuer à quelques personnes, à quelques sociétés savantes qui