Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/743

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il se réservait peu les jours de bataille, car le cheval qu’il montait à Solferino reçut un biscaïen au poitrail. En le plaçant à la tête du service de santé, on paraissait prendre l’engagement de donner au personnel, aux ambulances, aux hôpitaux une ampleur qui permit d’accorder à nos soldats les soins que le souci de leur santé, la politique, l’économie et surtout l’humanité, commandaient de ne leur point ménager. Si la correspondance du baron Larrey avec l’intendance était publiée, on serait surpris, sinon indigné, de reconnaître que l’expérience de la Crimée est restée stérile. A défaut de cette correspondance même, nous avons les confidences du docteur Chenu, qui l’a eue en main, qui y a fait de nombreux emprunts, et que nous prendrons pour guide. C’est un cri de douleur, c’est une lamentation, mais c’est aussi un réquisitoire prononcé par un homme compétent, qui montre le mal dans sa nudité, et qui ne cache point l’opinion que sa propre expérience, corroborée par l’étude des faits, a déterminée en lui[1].

La rapidité que l’on exige aujourd’hui des soldats en campagne, la perfection homicide des armes, ont augmenté la mortalité en temps de guerre ; dès lors, on doit croire que le personnel du service de santé a reçu un accroissement proportionné aux nécessités nouvelles. Il n’en est rien, au contraire. Sous le premier empire, les ambulances divisionnaires comptaient 20 médecins ; lors de l’expédition d’Alger, en 1830, ceux-ci ne sont plus que 12 ; au moment de la campagne d’Italie, leur nombre est réduit à 4. Lorsque nous avons franchi les Alpes, 124 médecins étaient attachés à notre armée ; des envois successifs ont porté ce chiffre à 391 pour toute la campagne ; aussi voyons-nous que, pendant le mois de juin, qui fut le mois des grandes batailles, 9 médecins militaires français reçoivent à Milan 8,176 blessés, et sont contraints par le labeur même dont ils sont accablés, et pour ne point laisser périr les malheureux, qu’ils sont impuissans à soigner, d’appeler à leur aide 280 docteurs italiens. Depuis cette époque, la Prusse nous a offert un exemple qui explique bien des événemens dont nous avons eu à souffrir. En 1866, lorsqu’elle entreprit contre l’Autriche cette campagne depuis laquelle l’équilibre européen est rompu, elle mit en mouvement 326,000 hommes, que suivaient 1,953 médecins militaires ; ceux-ci, absolument maîtres de leur service, libres, ne relevant d’aucune intendance, ne prenant conseil que de leur devoir, maintinrent l’armée dans un état prospère, qui fît l’admiration de tous les états-majors.

  1. Statistique médico-chirurgicale de la campagne d’Italie, service des hôpitaux militaires et civils, 2 vol. gr. in-4o. Paris, 1869.