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malmenait sans scrupule dès qu’elle essayait de parler ; aussi ne disait-elle mot ; elle n’avait ses entrées nulle part, et lorsqu’un journaliste frappait à une porte officielle, on avait vite fait de la lui fermer au nez. On laissait raconter, dans les journaux, que nous avions ouvert des tranchées, donné par-ci par-là un camouflet, que nous avions pris des drapeaux et fait des prisonniers ; mais de ce qui se passait dans les ambulances, néant. La presse anglaise ne s’en cachait pas, mais elle restait lettre morte pour les feuilles périodiques françaises, qui n’osaient la traduire. Les rapports, les réclamations du service sanitaire s’accumulaient dans les cartons de l’intendance, qui, sans doute, les communiquait au ministre de la guerre. Là, du moins, on savait à quoi s’en tenir. Le jour était fait sur les défectuosités du système suivi jusqu’alors, et l’on allait sans doute renoncer à des habitudes dont on avait pu constater le péril que nul avantage ne compensait. L’expérience avait été concluante, cruelle et très coûteuse. Il était élémentaire de modifier l’organisation administrative, d’augmenter dans des proportions considérables le personnel médical et d’outiller le service sanitaire de façon qu’il pût faire face à toutes les exigences. On se rendormit sur l’oreiller de la routine ; le passé se prolongea sans avoir abandonné une seule de ses erreurs. Les médecins militaires restèrent confinés dans leurs attributions décevantes ; ils n’eurent, comme le disait l’un d’eux, que « le droit aux jérémiades, » et ce droit était de nul effet : on s’en aperçut pendant la campagne d’Italie.


II. — EN ITALIE.

J’imagine que, dès le 1er janvier 1859, l’on avait dû envisager les probabilités d’une guerre prochaine, car lors de la réception officielle du corps diplomatique au Palais des Tuileries, Napoléon III avait adressé à l’ambassadeur d’Autriche des paroles qui ressemblaient à un appel aux armes. On en peut conclure que le ministère savait à quoi s’en tenir, que l’intendance avait été prévenue dans la mesure du possible, et que tout avait été, sinon préparé, du moins prévu, pour que nos troupes fussent assistées d’un corps médical suffisant et que l’on ne vît plus se reproduire les « négligences » dont on avait été prodigue en Crimée. Le choix du médecin en chef semblait indiquer la volonté de bien faire et de n’être point, comme l’on dit, débordé par les événemens. C’était le baron Larrey, membre de l’Académie des Sciences. Son nom historique, son savoir, sa connaissance profonde des nécessités sanitaires en campagne, faisaient de lui un homme considérable ;