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Quand on pense aux efforts que la nature et la civilisation accomplissent pour amener l’homme à l’âge de vingt-cinq ans, et quand on voit que ce produit magnifique de tant de forces combinées est réduit à n’être plus que de la chair à canon, il est difficile de ne point prendre en colère l’humanité et ceux qui la mènent. En finira-t-on avec ces boucheries criminelles que la philosophie, la morale, la science, la religion réprouvent ? Ne peut-on faire pour les groupes de peuples ce que l’on fait pour les groupes d’hommes, et établir au milieu d’eux, au-dessus deux, une sorte de tribunal amphictyonique qui jugera leurs différends ? Ce n’est point de gaîté de cœur que les nations acceptent les rigueurs de la lutte à main armée ; car, au seul point de vue économique, il y a longtemps qu’elles ont reconnu la justesse de la parole de Jean-Baptiste Say : « La guerre coûte plus que ses frais, elle coûte ce qu’elle empêche de gagner. » Tuer la guerre ; quel rêve ! Tout honnête homme l’a fait. C’est une utopie impraticable, soit ! mais l’abolition de l’esclavage, l’égalité civile, la suppression de la peine de mort, étaient aussi des rêves. Les verbes sont devenus chairs, et c’est la réalisation des « billevesées » d’autrefois qui constitue la grandeur des temps modernes.

La guerre est tellement coupable, que toute nation se défend de la vouloir. Les gouvernemens fabriquent des fusils, élèvent des fortifications, fondent des canons, inventent des matières explosibles, font le compte des soldats qu’ils peuvent mettre en ligne : armée active, réserve de l’armée active ; réserve, réserve de la réserve : total, trois millions d’hommes. Pourquoi tant de rumeurs, tant de dépenses, tant de bras enlevés au travail ? Pourquoi ces formidables budgets, avant-coureurs de la banqueroute et de la ruine des états ? Pour assurer la paix ; ils le disent ; bien niais celui qui les prendrait au mot, malgré le vieil axiome : Si vis pacem, para bellum. Tous ces gouvernemens si profondément pacifiques, qu’ils ne peuvent dormir que le casque en tête et la giberne aux reins, n’ont d’autre rêve, à les entendre, que de fermer les portes du temple de Janus et de donner au monde le baiser fraternel. Il est un moyen bien simple de les satisfaire, et je me permettrai de le leur indiquer. Qu’une convention internationale décide que nulle guerre ne pourra désormais être déclarée qu’après avoir été préalablement soumise, par voie plébiscitaire, à l’approbation des nations intéressées. Comme ce sont les nations qui fournissent les hommes et l’argent, qui souffrent de l’arrêt de l’industrie et de l’interruption des relations commerciales ; comme, en un mot, ce sont elles qui portent tout le faix, subissent toutes les pertes, s’imposent tous les sacrifices, sont écrasées par toutes les