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un fantôme d’empereur. Tout se résume pour lui dans quarante ans de soumission et trois mois d’un règne impuissant. Que serait-il arrivé si ce prince à demi idéaliste, Frédéric III, avait vécu ? Il aurait eu sans doute plus d’une déception, il n’aurait pas résolu tous les problèmes qu’il rêvait de résoudre ; il eût dans tous les cas probablement essayé de mettre son esprit, ses idées dans son gouvernement. Avec son fils, avec le petit-fils de l’empereur Guillaume Ier, c’est un autre règne, un autre esprit, une autre politique, ou plutôt c’est la continuation de la politique représentée par M. de Bismarck, qui reste le premier et tout-puissant conseiller du nouveau souverain dans la vie incertaine et précaire depuis longtemps créée à l’Europe.

Les affaires de la première des alliées de l’Allemagne, de l’Autriche, que Guillaume II va précisément visiter aujourd’hui, sont toujours compliquées ; elles le sont peut-être plus que jamais en ce moment, à en juger par les débats passionnés des diètes provinciales, par une recrudescence assez sensible des antagonismes de races, des conflits de nationalités engagés un peu partout dans l’empire. Il est certain que ce n’est pas une tâche facile pour un ministère de faire vivre ensemble Allemands, Polonais, Magyars, Slaves de la Bohême ou du Sud, toutes ces populations différentes de races, souvent ennemies, qui tiennent passionnément à leurs droits, à leurs traditions, et ne se sentent liées à l’empire que par leur fidélité à l’empereur. Cette diversité de populations a été quelquefois et pourrait être encore la force de l’Autriche. Elle est aussi évidemment la faiblesse de cet empire composite, toujours ballotté entre les populations allemandes, qui ont naturellement leur centre d’attraction en Allemagne, et les populations slaves, qui se sentent entraînées par les affinités de race, de religion, vers la grande protectrice des Slaves, la Russie elle-même. Comment tout concilier ? C’est l’éternelle difficulté. L’histoire de l’Autriche est remplie des incidens de ces luttes qui se renouvellent sans cesse, et un des plus curieux de ces incidens, un des plus imprévus et peut-être aussi des plus sérieux, est certainement la scène qui s’est passée il n’y a que quelques jours à Belovar, aux confins militaires de la Croatie. L’empereur Francois-Joseph s’était rendu à Belovar pour assister à des manœuvres des régimens de frontières. Pendant son court séjour, il a reçu les évêques de la contrée, particulièrement le plus illustre de tous, l’évêque de Diakovo, Mgr  Strossmayer, et, dans cette visite, il paraît avoir adressé la remontrance la plus sévère à l’évêque de Diakovo. L’empereur se serait même exprimé assez durement pour que Mgr Strossmayer, de concert avec ses collègues dans l’épiscopat, ait cru devoir s’abstenir de reparaître aux réceptions impériales, à un banquet donné par le souverain. Or il faut se souvenir que l’évêque de Diakovo n’est pas seulement un des plus éminens prélats de l’église, c’est aussi un des