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Anglais, Dickens, Thackeray, Charlotte Bronte, George Eliot, que Balzac et que George Sand ? ..

C’est en relisant quelques-unes des meilleures nouvelles de M. Guy de Maupassant que je faisais ces réflexions, et sans doute, en les relisant, — Boule de suif et la Maison Tellier, l’Histoire d’une fille de ferme, l’Héritage, En famille, Monsieur Parent, etc, — je ne m’y purifiais pas l’imagination, mais, comme disent les peintres, je m’y nettoyais les yeux, et je sentais le prix de la clarté, de la netteté, de la rapidité. Voilà quelqu’un au moins qui sait ce qu’il veut dire, qui le dit sans détour, obscurité ni nuage, trop librement ou trop crûment, j’en conviens, mais que l’on entend, et qui s’entend toujours lui-même. Vos Russes me fatiguent : ils abusent du droit que l’on a d’être long, puisqu’ils n’en sont pas plus clairs. Pour suivre un drame judiciaire ou le récit d’une aventure mondaine, ils me demandent plus de temps, de patience et même d’effort d’esprit qu’il ne m’en faudrait, je crois, pour apprendre l’économie politique ou débrouiller un budget. Mais celui-ci me repose, il me délasse, il m’amuse ; et quand on l’a tout lu, mais surtout quand on le relit, on s’aperçoit qu’en nous amusant il sait nous faire penser, autant ou davantage qu’un Russe. C’est ce que je voudrais faire voir en parlant aujourd’hui de ses Nouvelles, car, pour ses romans, à l’exception d’Yvette, il n’en est pas, je pense, un seul dont je n’aie parlé dans le temps de sa publication. Aussi bien, en multipliant, pour ainsi dire, les aspects de son talent, ses Nouvelles nous permettront-elles d’en étendre un peu la définition, d’y ajouter quelques traits, et surtout d’en modifier, d’en corriger ou d’en retrancher quelques autres.

Si le naturel, un parfait et entier naturel, est le premier caractère du talent de M. de Maupassant, — la qualité dont, la perfection même a quelquefois empêché d’apercevoir les autres, — c’est que nul, parmi les jeunes romanciers, ne s’est lui-même développé plus naturellement. Il a commencé par imiter ses maîtres, ou son maître, pour mieux dire, l’auteur de l’Éducation sentimentale et de Madame Bovary. Rien ne ressemble plus à Flaubert que Boule de suif, la nouvelle que M. de Maupassant écrivit pour les Soirées de Médan, si ce n’est En famille ou la Maison Tellier ; et la leçon était entrée si profondément, que je ne crois pas qu’il en soit une autre d’où M. de Maupassant ait eu plus de peine à dégager son originalité. Nous avons d’ailleurs plus d’une fois, ici même, constaté cette influence de Flaubert sur le roman contemporain : c’est bien de Flaubert, et de lui seul, auquel décidément je ne joindrais ni Balzac ni Stendhal, que datera, dans l’histoire de la littérature de ce temps, le mouvement naturaliste, comme le mouvement romantique a jadis daté d’Hernani.

Quelle que fût pourtant la ressemblance de ces premières nouvelles avec la manière de Flaubert, on y pouvait déjà noter une différence,