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années d’intervalle, la flegmatique Hollande était tour à tour ardemment républicaine ou passionnément orangiste[1]. République ou stathoudérat, telle était la question que plus d’une fois on se flatta en vain d’avoir résolue à jamais. Dans les temps ordinaires, la république avait pour elle une bourgeoisie enrichie par le commerce, en possession de toutes les charges, devenue la classe gouvernante du pays, habituée au maniement des affaires, mais trop sujette à confondre les intérêts publics avec les siens. Le stathoudérat s’appuyait « sur le dévoûment de l’armée, sur la fidélité de la noblesse, sur la reconnaissance du clergé calviniste, sur l’attachement du peuple, qui n’était pas intéressé à conserver le gouvernement républicain auquel il ne prenait directement aucune part. » M. Lefèvre-Pontalis a soin d’ajouter que le stathoudérat avait aussi pour lui tous les gens qui n’avaient pas de places et qui souhaitaient d’en avoir. « Le fond de tous les mécontentemens, écrivait Temple, ambassadeur d’Angleterre, est un dessein des meneurs de changer la scène, afin que ceux qui ont été en charge pendant plusieurs années puissent faire place à ceux qui ont attendu dehors. »

En 1668, la république paraît assise et triomphante. Par l’édit perpétuel qu’ont voté les états de Hollande, le stathoudérat est aboli pour toujours. On se croit garanti contre toute domination princière, contre tout consulat à vie, et le fils de Guillaume II ne pourra prétendre qu’à la charge de capitaine-général. Peu de temps après, ce jeune prince, âgé alors de dix-huit ans, s’échappait secrètement de La Haye, où on le gardait à vue, et sous prétexte d’aller chasser à Bréda et d’y essayer des lévriers et des faucons que lui avait envoyés le roi d’Angleterre, il se rendait aux états de Zélande, où il était appelé à représenter la noblesse de la province. Le 13 septembre 1668, il entrait en yacht à Middelbourg, et ce débutant, dont l’édit perpétuel avait condamné les prétentions et dévasté l’avenir, ce jouvenceau qui n’avait rien fait, qui n’avait pour lui que son grand nom, son nez aquilin, sa bouche aux lèvres minces, ses cheveux frisés et le feu de son œil d’aigle, n’eut qu’à se montrer pour être acclamé par la foule. « On accourt de tous côtés, écrivait son maître d’hôtel à la princesse douairière. On ne peut circuler dans les rues ; les fenêtres, les toits, jusqu’aux arbres et aux mâts des vaisseaux, tout est noir de spectateurs. L’abbaye est tellement remplie de piétons et de voitures, que c’est à peine si l’on peut pénétrer jusqu’à l’appartement du prince. La milice bourgeoise a tiré en son honneur pendant les deux heures qu’il a passées à la fenêtre, et les feux d’artifice doivent durer toute la nuit. »

Quatre ans plus tard, sous la pression de l’opinion publique, il était

  1. Vingt années de république parlementaire, Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande, par H. Antonio Lefèvre-Pontalis, 2 vol. in-8o. Paris, librairie Pion, 1884.