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bien que du philanthrope. Parmi les systèmes qui réussiront, nul, nous en sommes persuadés d’avance, ne supplantera d’une façon générale le régime du salaire, qui est le plus souple, le plus pratique, et à beaucoup d’égards le plus sûr, pour la classe laborieuse, de tous les modes de rémunération. Les faits ont prouvé que, malgré bien des circonstances défavorables, déjà sous sa forme présente, dès que le débat loyal du prix de la main-d’œuvre est possible, il permet aux deux associés de la création industrielle de tirer parallèlement et respectivement profit du progrès de la productivité, seule origine véritable de l’accroissement général de richesse. C’est là une conclusion sur laquelle, pensons-nous, les véritables amis des classes laborieuses ne sauraient trop insister. Au lieu de partager des préjugés trop répandus contre un mode de relations parfaitement licite et honorable, ils doivent, en s’appuyant sur une théorie plus large que celle dite classique, défendre le principe du salaire et le justifier des accusations qu’on lui prodigue. Présentement, le plus pressé est de lutter contre une désorganisation qui, sous prétexte de modifier la répartition des produits du travail, détruirait la production elle-même. Avant de partager, il faut créer. Les collectivistes n’auront raison dans leurs attaques contre le travail agencé suivant le mode actuel que le jour où ils auront prouvé que les ateliers mutualistes égalent en productivité les entreprises capitalistiques, objets de leurs anathèmes. Les premiers socialistes du siècle avaient du moins été logiques dans leurs visées. Avant de procéder à une réforme générale du travail, ils supposaient une refonte totale du monde moral : la famille, la nation, la politique européenne, sortaient de leurs mains complètement modifiées ; des mobiles assez semblables à ceux qui ont suscité les grandes rénovations religieuses devaient présider aux rapports des hommes entre eux. L’amour du prochain, l’amour de l’humanité, le respect d’une certaine hiérarchie morale reconnue par tous, étaient substitués à l’intérêt et à l’égoïsme particuliers. Dans une société ainsi purifiée et presque sanctifiée, on pourrait concevoir une sorte de ruche laborieuse, mettant en commun et exploitant avec zèle toutes les sources de richesses, puis se partageant fraternellement, sous la direction incontestée d’une autorité centrale, les fruits du travail. Mais qui actuellement, parmi les collectivistes, s’occupe de cette réfection du régime moral ? Leurs prédications, toutes pleines de haines et de menaces, inspirées par l’envie et propageant l’envie, ne mènent guère vers la réalisation d’une conception pacifique et en quelque sorte idyllique qui fut chère à de grands esprits et qui s’accorde peu, il faut l’avouer, avec l’état actuel de l’Europe. Tant que le monde n’est