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sujet n’a pu nier que d’une façon habituelle l’offre de bras nombreux fit baisser ou empêchât de monter la rémunération offerte au travail, et que des capitaux importans en quête de bras augmentassent ou maintinssent la valeur de ceux-ci ; c’est là un fait indéniable et que résume la formule bien connue de Cobden, que « les salaires montent lorsque deux patrons courent après un ouvrier, et baissent lorsque deux ouvriers courent après un patron. » De même il est évident que le prix des subsistances joue un rôle important dans la fixation du prix de la main-d’œuvre. Ce sont là des vérités incontestables. Mais constituent-elles toute la théorie du salaire ? Ne faut-il pas y ajouter des considérations complémentaires qui tiennent une place essentielle dans la question ? D’autres facteurs économiques n’interviennent-ils pas avec une puissance égale à celle de la rareté ou de l’abondance visible des bras et des capitaux ou de la cherté des vivres et des autres moyens d’existence ? La productivité du travail notamment, déjà signalée passagèrement par les maîtres classiques, n’a-t-elle pas, sur les rapports des salariés et des entrepreneurs, une influence beaucoup plus considérable que ne l’ont indiqué les fondateurs de l’école ?

C’est là un point de vue sur lequel, parmi les premiers, croyons-nous, a vivement insisté l’auteur américain F. Walker, qui, frappé de la contradiction de l’ancienne doctrine avec les résultats qu’il avait sous les yeux, a cherché à établir une théorie qui expliquât comment, dans le Nouveau-Monde, on voyait à tous momens des salaires élevés coïncider avec des capitaux rares, des profits considérables et un accroissement continu et rapide de la population ; et il a édifié sur un grand nombre de faits bien observés une démonstration complète d’où le fonds des salaires est exclu et où le rôle de la productivité est mis en pleine lumière[1].

Les auteurs que nous avons déjà cités, MM. Chevallier, Beauregard et Villey, s’inspirant des idées de M. Leroy-Beaulieu, qui avait très nettement montré les défauts de l’ancienne théorie, et reprenant celles de M. Walker, les ont reproduites à leur tour dans leurs récens ouvrages. M. Beauregard, notamment, a enrichi la doctrine de l’écrivain américain de beaucoup de développemens : tout en pensant que, sur un grand nombre de points, l’auteur a, en lui imprimant un caractère trop péremptoire, rendu critiquable le système qu’il expose, nous croyons devoir indiquer au lecteur comment le savant professeur présente ses argumens. Ils sont, sous une forme plus détaillée, les mêmes, en substance et sur ce qui concerne le fond du sujet, que ceux de ses deux émules.

  1. Voir the Wages question, par Francis A. Walker (1876).