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iront toujours en augmentant de prix, plus de travail devenant nécessaire à leur production. L’ouvrier se trouvera donc doublement atteint, sa condition empirera en général, tandis que celle du propriétaire foncier s’améliorera[1]. »

Cette conclusion de l’auteur des Principes d’économie politique a, on le sait, fait école en Angleterre : les écrivains contemporains de Ricardo, ou ses successeurs immédiats[2], quoiqu’ils n’aient pas été tous aussi pessimistes que lui au sujet de l’avenir des classes laborieuses, n’émettent pas, en général, sur ce point, des prévisions beaucoup plus favorables. On sent que, bien que doués d’une sympathie profonde pour la portion souffrante de l’humanité (et sur ce sujet on a singulièrement calomnié leurs sentimens), ils aperçoivent clairement quelles immenses difficultés s’opposent à la guérison des maladies sociales par des remèdes directs. Ennemis déclarés des mesures législatives, de l’intervention gouvernementale ou administrative tant de fois vainement essayées et qui n’ont fait qu’aggraver les maux qu’il s’agissait de combattre, des lois sur les grains comme de la taxe pour les pauvres et des workhouses, en général de toutes mesures de maximum légal pour les subsistances, ou de minimum pour les salaires, c’est, conformément aux idées de Malthus, dans la modération du mouvement de population que la majorité des économistes se rattachant à l’école dite anglaise a cherché longtemps de préférence un palliatif à l’extension de la misère. Dans les ouvrages de cette période, la limitation volontaire du nombre des mariages, les entraves morales mises à l’accroissement des naissances, sont, malgré des difficultés sur lesquelles il est inutile d’insister, présentées comme pouvant mieux que toute autre combinaison cicatriser la plaie terrible du paupérisme. L’exemple de l’Amérique, dont la population double en vingt-cinq années, celui de l’Irlande, affligée d’une marée montante d’êtres misérables et affamés, servent d’épouvantail pour le vieux monde, où les rangs des travailleurs sont déjà si serrés et les moyens de production et d’alimentation limités. Stuart Mill démontre que, sans la ressource de l’exportation des capitaux dans des pays neufs où le taux des profits est encore élevé, et l’émigration des bras en quête de travail vers ces mêmes contrées, les pays d’Europe devraient bien vite parvenir à ce qu’il appelle « l’état stationnaire, » et qu’à cette étape du développement économique il n’y aura plus de place pour une rémunération sup-

  1. Des Principes de l’économie politique, chap. V. (Voir la conclusion analogue de Stuart Mill, Principes d’économie politique, t. II, p. 276.)
  2. Voir les écrits de Mac-Culloch, Chalmers, Thornton, etc.