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que nous nous sommes décidé à ordonner le massacre. » A la fin, l’émir insistait sur la générosité dont il venait de faire preuve en délivrant les derniers captifs. Il importe, à ce propos, d’ajouter ici qu’afin d’éviter toute récrimination au sujet de la rançon bel et bien reçue argent comptant, il avait fait signer par chacun des captifs une note attestant qu’au dire des chefs arabes, la somme demandée n’était qu’une indemnité représentant toutes les dépenses supportées personnellement par ceux-ci pour la nourriture et l’entretien des prisonniers français.

Dans le même ordre d’idées, mais plus explicite encore, la lettre d’Abd-el-Kader au maréchal Soult, « grand-vizir du roi des Français, » c’est-à-dire président du conseil, vaut la peine d’être citée presque tout entière ; c’est un monument curieux de la diplomatie arabe :

« Les jours se succèdent sans se ressembler ; chaque chose a son temps. La guerre a des chances diverses ; il y a pour tout un mode particulier ; chaque âge a son expression, son champ de bataille propre ; il n’y a pas d’invention où l’on n’ait à reprendre. Au début du cours de ces événemens, nous étions avec vous, nous avions fait avec vous une paix (le traité de la Tafna), et nous nous étions accoutumés à votre voisinage. Nous avions accepté les conditions de votre traité, et comme elles étaient convenables, nous nous étions engagés réciproquement à les observer. Toi, qui es la porte du conseil du royaume et qui représentes la foi suprême de ton pays, tu avais, dans ta sagesse, adhéré à ce que nous t’exposions dans nos lettres au sujet de cette paix et, de part et d’autre, pour sceller l’amitié, nous nous étions fait des présens. Mais voilà que, parmi les représentans de votre pays en Algérie, il s’en est trouvé, et des plus hauts placés, qui ont prêté l’oreille aux propos de mauvaises gens d’entre les Arabes, cherchant à semer la discorde entre nous, et qui vous ont rapporté des propos calomnieux. Je dis, moi, que nous sommes lésés, et, sous l’influence des méchans, (vos agens) prétendent que nous nous plaignons sans motif.

« Nous avons écrit plusieurs fois au roi et à toi, et chaque fois que nous vous avons écrit à tous deux pour vous exposer la situation, on a opposé des démentis à nos plaintes ; on vous a de la sorte, par malveillance, induits en erreur touchant nos sentimens. La haine des méchans s’est donné pleine carrière. Ensuite, lorsque Dieu a voulu que nous fissions notre voyage à l’est, dans l’année qui a précédé celle de cette date (en 1845), et que nous avons tenu des prisonniers faits dans les combats, nous les avons gardés dans l’espérance qu’on nous les rachèterait ; nous avons attendu avec impatience du commencement jusqu’à la fin.