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n’aime pas l’arbre ; il n’a qu’une faible idée de l’utilité indirecte des choses. Les grandes et les moyennes propriétés, les parcs auxquels s’attaque la frivolité démocratique, rendent, à ce point de vue, de réels services à la communauté ; ce sont des réserves d’arbres, de gazon, d’humidité, d’oiseaux.

En Angleterre, grâce au climat, aux propriétés géantes, aux goûts de sport, l’état peut se passer d’intervenir dans le régime des forêts et des eaux. Il y a en quelque sorte une forêt diffuse et espacée sur tout le territoire. De même en Belgique ; il n’en est pas ainsi en France, ni en Espagne, ni en Italie, ni surtout en Afrique. L’intervention de l’état dans le régime forestier repose sur de tout autres principes que son intervention dans la production agricole habituelle : ici, il n’a rien à faire, ou presque rien ; là son rôle peut reposer sur des considérations d’un ordre tout à fait général. Ce n’est pas pour accroître la production présente, ni pour suggérer des méthodes nouvelles, ni pour guider l’agriculteur ; l’état ne s’y entendrait guère : c’est simplement pour opposer l’intérêt perpétuel, universel, à l’intérêt immédiat et local. Ainsi le déboisement des Alpes nuit à la Provence tout entière.

Autrefois, l’action de l’état était beaucoup moins nécessaire dans ce service ; plus nombreuses, les forêts se trouvaient beaucoup mieux entretenues, à cause des corporations, notamment des religieuses, qui ont plus en vue la perpétuité et pratiquent le détachement du temps présent ; à cause aussi des préjugés nobiliaires qui, pour la conservation de la chasse, préservaient les forêts.

Aujourd’hui, une grande partie de cette tâche incombe à l’état, à l’état central, non pas à la commune, souvent ignorante et imprévoyante. Ce n’est pas seulement en France, c’est au Canada, en Australie, au Brésil, qu’il en est ainsi. Si l’état français aménageait bien les 986,000 hectares de forêts domaniales, dont beaucoup, dans les circonscriptions de Chambéry, Ajaccio, Gap, sont de simples terrains embroussaillés, estimés à une valeur de 300 francs, de 280, de 220 francs par hectare en moyenne ; s’il repeuplait d’arbres les pentes des montagnes ; si, par un contrôle attentif, il forçait les communes à reconstituer les 1,823,000 hectares de bois qu’elles possèdent, et à transformer en forêts une partie des 2,696,000 hectares de communaux incultes, pâtures ou garigues, indépendamment des 335,000 hectares communaux en culture, qu’il pourrait laisser dans leur situation présente, l’état remplirait son rôle de représentant de la perpétuité nationale, il rendrait des services sérieux aux générations futures. De même pour les lois sur la chasse, sur la pêche, non-seulement fluviale, mais maritime, pour la préservation de toutes ces richesses naturelles que l’homme épuise, l’état devrait avoir une prévoyante rigueur.