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que les fautes d’un homme privé ne pèsent guère que sur lui, tandis que les fautes de l’état pèsent surtout sur autrui, c’est-à-dire sur tous les individus, non-seulement en tant que membres de la collectivité, mais en tant que personnes isolées.

Les fonctions essentielles de l’état dérivent de sa nature même. L’un des caractères de l’état, c’est de représenter l’universalité du territoire et l’universalité des habitans d’un pays, c’est d’avoir une pensée et une action qui, au besoin avec le secours de la contrainte, se font partout obéir ; il en résulte que l’état est chargé de pourvoir aux besoins communs de la nation, c’est à-dire à ceux qui ne peuvent être satisfaits convenablement sous le régime de l’initiative individuelle, qui réclament le concours absolu et préalable de tous les citoyens. On a distingué avec raison les besoins communs et les besoins généraux. Les besoins généraux sont ceux qui existent pour tout le monde, comme de boire, manger, se divertir ; les individus ou les groupemens libres et souples qu’ils constituent à leur gré peuvent parfaitement y pourvoir. Les besoins communs sont ceux qui ne peuvent être complètement satisfaits que par l’action de la communauté même, parce que toute opposition individuelle, fût-elle limitée, y fait obstacle : ainsi la sécurité, la préservation contre certaines maladies contagieuses, le service de la justice. L’appareil obligatoire, coercitif, est ici de rigueur. Si l’état ne s’en chargeait pas, il faudrait que des particuliers ou des sociétés privées le constituassent, empiriquement, partiellement, insuffisamment. Une certaine intervention dans la préparation, sinon dans l’exécution des travaux publics, rentre aussi dans les besoins communs de la nation : je veux parler de l’exercice du droit d’expropriation, qui ne peut être confié qu’à l’état. On a souvent confondu, à tort, les besoins généraux, relevant de l’initiative privée, et les besoins communs, relevant par leur nature de la communauté. C’est une faute de ce genre que l’on commettait, il y a quelques années, dans l’état de Zurich, quand on consultait le peuple pour la constitution en monopole du commerce des grains. Les électeurs zurichois, souvent mal inspirés, eurent le bon sens de repousser aux deux tiers des suffrages cette proposition socialiste. Le socialisme consiste proprement à dépouiller l’individu d’une partie des fonctions qui lui appartiennent naturellement pour les conférer à l’état.

De tous les besoins communs d’une nation ou même de l’humanité, celui de justice est, après celui de sécurité, le plus considérable. Sécurité et justice ne sont pas identiques. Le second terme est beaucoup plus vaste. L’état est, par essence, le définisseur des droits et des responsabilités juridiques ; c’est un rôle énorme