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telle entreprise de travaux : beaucoup de gens ou perspicaces ou prudens l’ont considérée comme trop aléatoire, ils n’ont pas eu confiance dans la direction ; ils se sont abstenus ; la perte ne les touche pas ; c’est justice. Ceux qui supportent la perte, ce sont les hommes qui, par légèreté, par avidité, n’ont pas voulu se contenter des placemens simples et sûrs, et, se lançant dans l’aléa, n’ont pas eu assez de discernement pour bien juger d’une affaire chanceuse ; ils sont à plaindre, mais ils avaient commis une imprudence. Au contraire, l’état entreprend contre tout bon sens un plan extravagant de travaux publics ; je vois la folie, je la dénonce à l’avance ; beaucoup d’autres hommes en font autant, mais ils ne sont pas en majorité : 3 milliards ou 4 milliards sont gaspillés dans des œuvres improductives, et nous les sages, les prévoyans, nous voyons nos budgets particuliers grevés d’un surcroît d’impôt de plusieurs dizaines de francs par an, ou de plusieurs centaines ou même de plusieurs milliers, suivant nos fortunes, pour des entreprises contre lesquelles nous avons protesté, les sachant insensées. On dira que c’est là une application du principe de la solidarité nationale, mais il est aisé de prévenir la dure et inique application de ce principe, en laissant aux entreprises libres ces œuvres contestées et sur lesquelles l’opinion publique se divise.

Les erreurs de l’état sont toujours des erreurs totales, j’entends par là que l’action de l’état s’étendant par voie de contrainte légale et de contrainte fiscale à tout le territoire et à tous les habitans, nul ne peut échapper aux résultats des fautes qu’il commet. Les erreurs des sociétés anonymes, au contraire, sont des erreurs partielles ou n’ont que des effets partiels ; les conséquences directes n’en sont subies que par ceux qui s’y sont associés ; les hommes perspicaces ou prudens n’en souffrent pas ou en souffrent peu. Ajoutons que, plusieurs sociétés anonymes en général se disputant, dans chaque branche d’industrie, le même champ d’action, il est rare que toutes commettent à la fois la même faute ; la rivalité même qui les anime fait qu’elles ne suivent pas exactement les mêmes méthodes et ne pratiquent pas au même moment les mêmes procédés. L’état, au contraire, qui ne peut jamais agir que d’une façon uniforme, intensifie nécessairement et porte au maximum les engouemens, les entraînemens, les partis-pris, quand l’esprit public y dispose.

Des explications qui précèdent, il nous semble ressortir clairement les règles suivantes :

1° En vertu de sa supériorité au point de vue de la conception, de l’invention, de l’aptitude aux modifications fréquentes, aux expérimentations variées, l’action individuelle doit être, a priori,