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objet la conservation de la société ; plus tard lui est incombée la généralisation graduelle et prudente de quelques règles ou de quelques procédés que découvre l’initiative des particuliers ou des associations libres, et qui, pour que la nation en retire tout le profit qu’elle en peut attendre, ont besoin du concours non-seulement de la généralité des habitans, mais de l’universalité. Cette seconde tâche comporte une réserve importante : comme la société humaine ne se développe et ne progresse que par l’esprit d’invention, et que ce don manque absolument à l’état, qu’il appartient en monopole à l’individu seul et aux groupemens variés et infinis que forme librement l’individu, l’état doit veiller avec un souci attentif, ininterrompu, à circonscrire son action propre, de sorte que, sauf les cas d’évidente nécessité, il ne porte aucune atteinte à l’énergie individuelle et à la liberté des associations privées.

J’ai dit que dans ces études je ne me propose pas de parler de l’état en soi, abstraction difficilement saisissable, mais de l’état moderne. Je n’ai pas à rechercher ce qui convenait au temps de Lycurgue ou de Constantin, non plus qu’à m’occuper de la mission qui actuellement peut échoir à l’étal chinois ou thibétain. Sons doute, le fond de l’homme étant toujours le même, et les règles qui déterminent son activité ayant, sauf des différences d’intensité, partout la même nature, on peut dire que la généralité des observations que suggère, quant à la sphère de son action, l’état moderne et occidental, pourraient, quoique à des degrés divers, s’appliquer à l’état ancien et à l’état asiatique. Il est bon de se circonscrire, toutefois, dans l’espace et dans le temps. L’état moderne et occidental offre des caractéristiques particulières qui le rendent tantôt plus qualifié et plus apte, tantôt moins apte et moins qualifié pour certaines tâches.

Que doit-on entendre par l’état moderne et occidental ? C’est l’état reposant principalement sur la délégation temporaire de l’autorité par ceux qui la doivent subir. C’est l’état électif et à personnel variable. Sans doute, dans tous les temps et à peu près dans tous les pays, l’élection a joué un certain rôle dans la constitution de l’état. Mais, pour l’état moderne et occidental, il ne s’agit plus d’un rôle accessoire, subordonné, d’un simple contrôle ; le principe électif y a tout envahi et tout absorbé. Dans le vieux monde, la France et la Suisse, dans le Nouveau-Monde, tous les états, sauf le Brésil, sont ceux qui présentent, de la façon la plus accentuée, ces traits propres à l’état moderne et occidental. Les autres pays appartenant à notre groupe de civilisation, la Russie seule exceptée, se trouvent dans des conditions, sinon identiques, du moins assez analogues ; il existe chez certains d’entre eux quelques contrepoids an régime électif ; ce sont, toutefois, en Angleterre, en Belgique, en Hollande,