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journée, où sa puissance s’était élevée jusqu’à le faire traiter d’égal à égal avec le représentant de la France, touchait une plaie saignante : Abd-el-Kader inclina la tête et se tut. Il passa la matinée à écrire et à dicter des lettres à Moustafa-ben-Tami. Vers huit heures, je conduisis l’émir à bord de la frégate l’Asmodée, qui allait le porter à Toulon. J’y vis amener sa mère, sa femme, toutes deux voilées, son fils, enfant d’un aspect maladif, et plusieurs de ses officiers, tous blessés. A dix heures, le navire faisait route pour la France. » Le lieutenant-colonel de Beaufort, aide-de-camp du duc d’Aumale, était à bord. Les adieux d’Abd-el-Kader au prince avaient été simples et dignes ; il n’avait laissé échapper ni une plainte ni une parole de regret ; il s’était borné à recommander ses serviteurs à la générosité française, et il avait fini par l’assurance que désormais il ne songerait plus qu’au repos.


VI

Le 24 décembre, le duc d’Aumale adressait à M. Guizot, président du conseil et ministre des affaires étrangères, la dépêche suivante : « Abd-el-Kader et sa famille partent avec moi pour Oran, d’où ils seront expédiés à Marseille ; ils y attendront les ordres du gouvernement, qui, j’espère, ne les y retarderont pas longtemps. Le général de La Moricière a promis à l’émir qu’il serait envoyé à Alexandrie ou à Saint-Jean-d’Acre. Sans cette condition, il était fort possible qu’un homme seul, résolu, entouré d’une poignée de cavaliers fidèles, parvint à nous échapper et à gagner les tribus qui lui sont encore dévouées dans le sud, où il nous eût suscité de grands embarras. Je ne pense pas qu’il soit possible de manquer à la parole donnée par cet officier-général, et qui ne me paraît pas d’ailleurs avoir d’inconvénient. Si l’émir désignait d’autre point qu’Alexandrie ou Saint-Jean-d’Acre, nous serions parfaitement libres à son égard. »

Cette dépêche parvint à Paris le 1er janvier 1848. Le même jour, le ministre de la guerre écrivait au duc d’Aumale : « Vous avez ratifié les promesses faites par le général de La Moricière, et la volonté du roi est qu’elles soient exécutées. Le cabinet s’occupe des mesures propres à prévenir les embarras éventuels qui pourraient naître, dans l’avenir, du caractère aventureux et perfide de l’émir. » Le 17 janvier, M. Guizot s’exprimait ainsi devant la chambre des pairs : « J’ai la confiance que le gouvernement du roi trouvera moyen d’acquitter loyalement les promesses qui ont été faites et de s’assurer en même temps de tout ce qui importe à la sécurité de la France en Algérie. » Le 5 février, il disait plus explicitement, devant la chambre des députés : « Monseigneur le duc d’Aumale a