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de la porte pour entrer ; » c’est donc pour cela que je t’adresse un homme propre à cette mission. Je lui avais donné ma confiance à l’époque de la paix entre vous et nous ; ses bonnes qualités me sont connues, et il possède aussi la connaissance de vos armées, de vos mœurs et de vos habitudes ; il sait aussi, pour l’avoir vu par lui-même, ce qui vous distingue dans la bonne administration en général, et connaît personnellement les chefs de votre gouvernement autant que qui que ce soit. Si tu en désires un autre d’un rang plus élevé, ce sera pour un autre moment et après son retour. A une personne comme toi, il est inutile de faire des recommandations pour lui faire accueil dans ta magnifique demeure. Je ne doute pas que tu ne veuilles bien le recevoir d’une manière convenable, et que tu ne t’occupes avec soin et bonté de boucher la fente qui sépare les deux partis. Tu n’ignores pas que celui qui s’occupe de réparer les malheurs, d’unir les partis éloignés et qui parvient à les rapprocher, a fait une belle action aux yeux des deux partis et même de toutes les nations en général. Tu as le pouvoir de lier et délier, de fixer ce qui est mouvant. Tu peux nouer et dénouer des difficultés plus grandes que celles de la circonstance présente. Que Dieu puisse améliorer par sa bonté la situation présente et future ! Amen. En date du 4 bedja 1863 (14 novembre 1847). Par ordre de notre maître. — Que Dieu lui soit en aide ! »

Ce verbiage long et diffus, tout l’opposé du style habituel d’Abd-el-Kader, n’était à autre fin que d’essayer encore une fois d’entrer en correspondance avec l’autorité française, et de présenter aux Marocains comme aux Arabes le leurre d’une négociation apparente. Le duc d’Aumale ne s’y trompait pas. « Abd-el-Kader et Bou-Hamedi, écrivait-il, ont envoyé au général de La Moricière et à moi plusieurs lettres plus respectueuses que d’habitude, mais traitant toujours de puissance à puissance, et n’ayant évidemment pour but que de faire croire aux populations que l’émir n’est pas en hostilité avec les Français. La lettre qui m’est adressée par Abd-el-Kader ne renfermait que des assurances vagues sur ses intentions pacifiques, et les instances habituelles pour qu’on lui répondit et qu’on traitât de la paix. Il est à remarquer seulement qu’elle était plus que convenable et presque respectueuse dans la forme ; tout en me prodiguant les épithètes dont la langue arabe est si riche, Abd-el-Kader ne se désigne que par ces mots : Celui qui combat pour la foi, sans se traiter de sultan et de commandeur des croyans, comme par le passé. » Après avoir pris des mains d’El-Habid les lettres de l’émir et de Bou-Hamedi, le général Renault n’avait pas permis au messager d’aller plus loin, et lui avait fait publiquement repasser la frontière.

Le duc d’Aumale avait donné à La Moricière l’ordre de se poster