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agens français, en tout pays, prennent un ton provocant, » écrivait lord Malmesbury peu de temps après l’envoi de ces instructions. J’ai reçu des renseignemens sur plusieurs plans d’invasion en Angleterre et de coups de main pour enlever la reine à Osborne. » — Le ministre anglais s’alarmait à tort : la diplomatie française ne provoquait personne ; mais, désabusée, à bout d’éloquence, elle se retirait dans sa coquille, froide, impassible, laissant les souverains juges de leurs déterminations, bien décidée à ne pas tenir compte de leurs protestations. On allait en effet passer outre, et proclamer l’empire sans se préoccuper davantage du déplaisir des chancelleries. Louis-Napoléon se sentait porté par le courant populaire ; il avait foi en son étoile, il croyait à sa mission ; l’entente diplomatique de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche le gênait, mais elle ne le déconcertait pas. Il n’admettait pas qu’elles fussent en mesure de donner à leurs protestations un caractère agressif ; il avait confiance en nos forces. Notre prestige militaire avait survécu aux vicissitudes de 1815 ; la France était restée la grande initiatrice des peuples ; sa puissance morale était toujours rayonnante ; elle avait à son service, pour triompher du mauvais vouloir des cabinets, les idées de 1789 et la propagande des revendications nationales. La monarchie de Juillet, si contestée à ses origines, n’avait pas dédaigné le principe des nationalités ; elle en avait fait un judicieux usagé, sans lui sacrifier nos intérêts traditionnels. Elle avait fait comprendre aux puissances du Nord que, poussée à bout, elle saurait déchaîner la tempête, et cela avait suffi pour leur donner à réfléchir. L’argument était excellent, tout autorisait le prince-président à y recourir ; mais, monté sur le trône, dominé par son passé, et moins sagace que Louis-Philippe, il l’érigea en système ; il fit de l’affranchissement des nationalités le dogme de sa politique, avec l’arrière-pensée de déchirer les traités de Vienne. L’arme était à deux tranchans ; elle exigeait une main ferme, habile, vigilante, et celle de Louis-Napoléon, malheureusement, était mobile et téméraire. Aussi l’arme s’est-elle retournée contre lui et a-t-elle fait à la France de mortelles blessures.

La presse qui prenait le mot d’ordre à l’Elysée faisait à l’Europe, à titre d’avertissement, d’inquiétans tableaux : « Chaque gouvernement européen a en lui-même une cause de perte qui doit être une cause de prudence, disait M. de La Guéronnière, que