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intérêts, mais il méconnaissait singulièrement, il faut l’avouer, les devoirs imposés à un souverain neutre, en annonçant à M. de Bismarck, de but en blanc, qu’il se considérait comme l’avant-garde de la Prusse. Déjà, en 1840, il était allé au Johannisberg s’offrir à la coalition, peu reconnaissant envers la France, à laquelle il devait son royaume, et envers Louis-Philippe, qui lui avait donné sa fille. En 1852, tous les échos répercutaient ses cris d’alarme. « Le roi Léopold, écrivait lord Brougham, croit que Louis-Napoléon lui cherche une querelle d’Allemand à propos de sa presse. Il se flatte que l’Europe entière prendra parti pour lui. »

Les appréciations de M. de Prokesch sur l’état des choses en France, au dire de M. de Bismarck, n’étaient pas moins pessimistes. Il tenait Louis-Napoléon, qu’il disait connaître personnellement, pour un esprit téméraire, capable, le jour où il serait grisé par le succès, des plus folles entreprises. Aussi prétendait-il que le prince de Metternich envisageait l’avenir de l’Europe sous les couleurs les plus sombres, et que son maître, plein d’angoisses, se préparait à toutes les éventualités.

Les prophètes n’ont pas manqué au second empire. Ils n’ont pas cru à sa sagesse, à sa durée ; ils ont eu l’intuition de la catastrophe finale qui l’a emporté, sans pressentir, toutefois, qu’avant de sombrer il serait, par le fait d’une guerre heureuse, fugitivement l’arbitre de l’Europe. La politique extérieure est une science ; elle permet à ceux qui la possèdent de procéder par voie d’induction, du connu à l’inconnu, et de résoudre, en s’appuyant sur les données de l’expérience, sur la connaissance exacte du tempérament, des intérêts et des tendances des hommes d’état qui dirigent les affaires, les problèmes les plus obscurs.

Les cours du Nord se concertaient sur les affaires de France, sans arriver à une entente nette et précise. Les courriers de cabinet se croisaient, entre Berlin, Pétersbourg, vienne et Londres, porteurs de dépêches, de projets et de contre-projets. On parlait d’une protestation identique sous forme de note qui serait remise simultanément à Paris par les envoyés de Russie, d’Autriche et de Prusse ; il était même question d’un traité entre ces trois cours. Les pourparlers n’étaient pas douteux, mais il était difficile de les préciser, de savoir dans quelle forme et sous quelle teneur l’entente s’était effectuée. » Les cabinets du Nord, écrivait M. de Varenne, ont tout intérêt à établir qu’il n’existe aucune entente contractuelle entre eux au sujet de nos affaires : si nous avions lieu de supposer qu’un tel accord existât, nous ferions des préparatifs d’armement et nous demanderions des explications ; il en résulterait une immense