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« L’aplomb avec lequel il avance des faits controuvés, écrivait M. de Bismarck, toujours dur pour ses collègues, et le sang-froid avec lequel il exécute une évolution dès qu’il est surpris en flagrant délit de mensonge, dépassent tout ce que j’ai vu en ce genre[1]. » Il fallait que le baron de Prokesch dépassât réellement la mesure dans l’art de feindre pour que M. de Bismarck s’en étonnât et s’en indignât.


IV. — LES DISPOSITIONS DES COURS DU NORD.

Les sentimens de la cour de Prusse pour l’empire, à la veille de la proclamation, n’étaient rien moins que bienveillans ; on prétendait même, à Pétersbourg, qu’elle était la plus ardente à soulever des objections, à réclamer des garanties. La Gazette de la Croix, son organe habituel, justifiait ces insinuations par l’acrimonie de ses polémiques. Elle se permettait contre la personne du prince-président des sorties virulentes, diffamatoires ; elle ne s’attaquait pas avec moins de véhémence aux journaux, aux souverains et aux ministres allemands, qui se montraient courtois envers Louis-Napoléon ; elle les signalait à la vindicte publique. Voici ce qu’elle disait à l’occasion du voyage du prince-président dans les provinces de l’Est, dans un article intitulé : Un Pont et une Décoration, qui sortait, disait-on, du cabinet du roi : — « Le prince-président fait jeter un pont sur la rive allemande ; il le traverse avec son état-major, et le Moniteur annonce officiellement qu’il a passé en revue les troupes badoises rangées en bataille, et qu’il a été accueilli par elles, ainsi que par les populations du grand-duché, aux cris les plus chaleureux de : « Vive Napoléon ! » Le Moniteur se trompe, il n’y a pas eu de revue ; le commandant badois a simplement fait rendre les honneurs à un général étranger, selon l’usage, par le poste de service placé sur le rivage, et, fidèle à son devoir, il n’a poussé aucun cri. — Mais peu importe l’erreur du Moniteur, il suffit de connaître ses secrets désirs. L’imprudente Patrie complète sa pensée en accentuant l’accueil que Napoléon a reçu à Kehl ; elle dit que le grand-duché de Bade n’est plus un pays étranger : on s’approprie Bade contre son gré ! Le prince-régent de Bade fait saluer, selon l’usage, le président français à la frontière ; il a soin, en véritable prince allemand, d’éviter avec lui toute rencontre, ce qui n’empêche pas Bonaparte de pénétrer dans son pays et de lui imposer la Légion d’honneur, cet ancien signe de l’esclavage sous le joug français !

  1. Correspondance de M. de Bismarck, de Francfort.