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personnel dont il avait la direction ; il savait le fort et le faible de chacun ; les recommandations le laissaient indifférent ; là où il croyait trouver une aptitude, il allait la chercher, la mettait à l’épreuve et la signalait au ministre. Il aimait à préparer la fortune des jeunes, et sa sollicitude suivait au loin ceux qui souvent n’avaient à Paris d’autre appui que son souvenir. Trop indulgent pour moi, il estima que je répondais grosso modo à l’esquisse que M. de Varenne, paresseux et goutteux, traçait, d’une façon si originale, du parfait secrétaire. Si j’avais eu vent de ses exigences, je me serais récusé. Je venais de passer six années en Allemagne, je connaissais les intérêts multiples et divergens de ce peuple, ses passions, ses tendances ambitieuses ; je l’avais vu paisible, modeste, soumis, se jeter brusquement dans la voie révolutionnaire, et, après de violentes, de stériles agitations, revenir à son point de départ, faire litière de ses rêves de grandeur et reprendre philosophiquement le harnais fédéral. J’avais assisté à la réconciliation forcée de la Prusse avec l’Autriche, à la résurrection de la Diète que le parlement de Francfort croyait à jamais enterrée. Il me tardait d’élargir mon horizon politique, d’étudier d’autres pays et d’autres mœurs. L’Espagne parlait à mon imagination, je brûlais d’envie de la connaître. Mais il était dit que je ne franchirais pas les Pyrénées, car ce fut encore une permutation faite in extremis qui, plus tard, m’empêcha d’aller remplir à Madrid les fonctions de premier secrétaire.

On ne choisit pas ses postes, on les subit. La fortune des diplomates dépend de l’enchaînement fatal des circonstances qui les mènent en Chine plutôt qu’en Russie, en Italie plutôt qu’en Perse. Leur carrière sera brillante ou décevante, suivant la route que leur assigne l’aveugle destin. Il en est qui trouvent dans des missions ingrates, lointaines, dont personne ne se soucie, l’occasion de s’affirmer, de rendre de signalés services, tandis que leurs collègues, dans de grandes ambassades enviées de tous, mal inspirés, ou mal servis par les événemens, ne récoltent que des déboires et sont funestes à leur pays. « Je ne procède jamais à un mouvement diplomatique, me disait un ministre d’une rare conscience, sans de vives appréhensions. Je me sens troublé en songeant aux conséquences que peut avoir une nomination, soit pour le bien de l’état, soit pour le sort de l’agent. »

M. de Varenne me fit grand accueil. C’était un vétéran de la carrière : ses débuts remontaient aux premiers jours de la restauration. Soutenu par les bureaux, il avait, depuis lors, représenté la France sous toutes les latitudes et sous tous les régimes. Il avait résolu ce délicat problème à son honneur et sans rien sacrifier de sa dignité. Il s’en était tiré en ne permettant jamais à personne de s’immiscer dans nos débats intérieurs. Dès qu’un ministre ou un